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Jérôme Orsoni
, 11/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Déposséder de son non. — « Penser, c’est dire non », affirmait jadis le Percheron de la philosophie. Et, aujourd’hui que toute velléité de négation s’est vue déconsidérée comme étant d’emblée réactionnaire, on a bien du mal à comprendre en quoi elle a jamais pu jouir de quelque prestige aux yeux de nos lointains et arriérés ancêtres. Ce n’est pas qu’il y ait une vérité bien profonde dans l’affirmation du non, c’est plutôt l’inverse : que la négation du non révèle la force de l’angoisse qui nous étrangle en elle. Car, si jamais il s’avérait que nous ne nous orientions pas inéluctablement vers le bien, ne découvririons-nous pas par là même que le mal est en chacun de nous et non une sorte de maladie qui touche une certaine catégorie de la population, comme la sénilité ou un virus ? Les époques qui rejettent la négation éprouvent une telle peur du mal qu’elles préfèrent s’en cacher l’existence : comme l’histoire s’achèvera en une apothéose de bienveillance universelle, pensent-elles, le mal ne peut pas réellement exister, il ne saurait rien être qu’un moins bien passager qu’il n’importe pas de comprendre, simplement de dénoncer, la prière suffisant à le chasser. Le progressisme n’est jamais le constat d’un progrès réel, mais toujours un acte de foi. La vérité ne s’impose pas dans le cours de la conversation, par la conviction qu’emportent des arguments rationnels et des sentiments justes, non, elle doit donner à qui la reçoit l’impression d’être transfiguré, que tout est transformé, et que désormais rien ne pourra plus barrer le chemin du triomphe. Un peu comme, de la prédication de saint Paul à Éphèse jusques à la Bücherverbrennung des Nazis dans l’Allemagne de 1933, chaque autodafé semble la promesse d’un monde meilleur, dont la purification par les flammes n’est que la forme extérieure, frappante, mais en rien nécessaire en soi. Le mode de réception du progrès n’est pas la confiance en soi, des mœurs plus douces et des phrases plus sensées, mais l’enthousiasme, la liesse, le débordement. Le progrès ne rend pas serein, il excite : il doit tout emporter sur son passage, balayer les résistances, comme du fleuve sorti de son lit rien ne peut plus maîtriser le cours. Après son passage, on est épuisé et, dans cet état d’hébétude, on peine à comprendre que tout soit exactement comme avant. Comment est-ce possible ? Le bien serait-il impuissant ? Le non n’est pas l’essence de la pensée, ni de quoi que ce soit, il est  peut-être un appel au retard, au délai, à l’atermoiement, quelque chose qui ne serait pas très loin du « frein d’urgence » de Benjamin, mais non par paresse ni par angoisse, plutôt pour jouir encore un peu du temps qui passe avant qu’il ne soit définitivement passé. Non pas aller lentement pour le plaisir de traîner, donc, mais comme on admire un paysage, les nuages qui défilent au-dessus de nos yeux, tout là-haut, et l’horizon lointain qu’on devine depuis le rivage, loin, très loin. Où que je me trouve et où ne se trouve pas la mer, j’en viens tôt ou tard à éprouver le même sentiment de peine, de manque, de nostalgie : sans la mer, nous sommes aveugles, il faut nous rendre à l’évidence. La mer ne nous berce pas, elle nous transporte, elle nous transperce.

Geshi (solstice d’été)

la souris
, 11/07/2025 | Source : Grignotages

Les fleurs de brunelles se fanent

Samedi 21 juin

J’ai ma matinée. J’ai oublié de saisir les appréciations pour le conservatoire. Je n’ai plus de matinée (mais j’ai un tiers des appréciations).

Le métro est dans les choux, je finis dans la serre du tram, à m’éventer, à deux doigts de me sentir mal.

Second spectacle pour mes élèves : je n’ai plus de couture à faire, les élèves ont encore plus de paillettes sur les joues, et je donne mes top à temps, casque sur les oreilles. Au lieu de stresser avant sa propre entrée, le second groupe s’éclate à danser la choré du premier dans les coulisses ; je dois de manière insistante leur faire signe de se mettre en ordre pour monter sur scène.

Lors des saluts, le visage de M. est au bord des larmes. Je demande à ma collègue s’il s’est blessé, il n’a pas l’air d’aller bien mais non, ce grand gaillard de dix-sept ans et plus d’un mètre quatre-vingt est seulement sous le coup de l’émotion : c’est son dernier spectacle avec le conservatoire, où il danse depuis tout petit (j’ai du mal à l’imaginer petit) ; à la rentrée, il sera au CNSM. C’est incroyablement touchant — rien de mièvre, ce jeune homme est une crème.

La photo de groupe passe à l’as. Ça se termine à peine que c’est fini, tout de suite après, dans le désordre et la débandade joyeuse, on préfère il faut avec puis sans les élèves évaporés : se souhaiter de bonnes vacances, dénouer les rubans dans les cheveux, récupérer les costumes et les trier en fonction des lessives à venir, tout ramasser, remplir une valise d’objets trouvés, mettre à la poubelle, dans des sacs, dans le coffre, effacer les traces.

SMS d’une camarade de formation : elle a trouvé les pièces « canons ».


Retour à mon canapé, où j’acte une seconde fin, celle de la série Étoile, que j’avais fini par apprécier premier degré. Surtout le personnage de Tobias, chorégraphe génial autiste insupportable attachant, caractérisé par son casque sur les oreilles et ses sorties intempestives, saluées par la même running joke : « Is he coming back? »

Petit bug quand je réalise que la coupe de cheveux de ce personnage et le bas du visage d’un autre me font penser à mon ex.

La chorégraphie sur les barres me fait regretter qu’il ne s’agisse pas d’une vraie pièce que je verrais avec plaisir in extenso. Christopher Wheeldon (le vrai chorégraphe de l’affaire) a décidément le sens du show, et son apparition en chorégraphe désarçonné par l’étoile qui fait sa diva est savoureuse.

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Dimanche 22 juin

Quand c’est fini, y’en a encore : les appréciations de fin de semestre au conservatoire. Tenter de rendre justice à chacun tout en conservant une trace écrite de certaines choses potentiellement problématiques constitue un exercice de diplomatie épuisant.

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Lundi 23 juin

Le retard au rendez-vous psy, bonne occasion de parler de la peur du gâchis (qui peut gâcher bien des choses), avant une glace au gianduja (que je ne sais jamais prononcer) et l’examen d’une partie de mes élèves. Nous savions tous qu’à une ou deux exceptions près elles n’avaient pas le niveau, mais je n’en ai pas moins envie de glisser sous la table ; ai-je si mal fait mon boulot ? J’ai encore beaucoup de mal à distinguer ce qui dépend de moi et ce qui dépend des élèves.

Statue vue de dos, main levée, un petit nuage comme une boule de coton au niveau de sa main
Mieux que la bataille de boules de neige, la bataille de nuages cotonneux.

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Mardi 24 juin

Le collègue qui éructe d’entrée de jeu envers une autre, celle tellement crevée qu’elle en devient passive agressive… c’était manifestement la réunion qu’il me fallait pour retirer mon filtre bisounours. J’ai peaufiné ma technique de la statue de sel et les œillades d’hallucination.

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Mercredi 25 juin

Dernier mercredi de l’année, je fais cours portes ouvertes, pour la chaleur et les parents.

Je reçois des cadeaux d’élèves : un porte-clé nounours que j’accroche illico à la fermeture de mon sac de danse, un bracelet à grosses fleurs roses avec des cabochons en flocons métalliques, une fleur en fils de chenille que j’accroche à mon chignon (« Tes élèves ont bien remarqué ton côté farfelu », commente la directrice) ou encore une danseuse en perles à repasser — qui ont bien évolué depuis mon enfance : ce ne sont plus des perles percées mais des billes lisses ou facettées. Cette ballerine en perles me confirme ce que m’ont suggéré d’autres dessins : une danseuse est toujours blonde et habillée de rose, sachez-le, même quand la petite fille qui la projette est brune en tutu blanc.

Je reçois des cadeaux de parents, aussi, dont du chocolat de chocolatier. Par cette chaleur, il est peu probable qu’il s’agisse uniquement de convention ; les enfants ont du cafter sur les tablettes grignotées pendant les cours.

Le dernier cours est annulé faute d’élèves, mais me sera quand même payé, youhou ! J’en profite pour souffler avant la réunion parents-profs du conservatoire, qu’une collègue plus ancienne mène gaiement, il n’y a qu’à se laisser porter, sourire et répondre du mieux que l’on peut. Des parents demandent s’il y aura la possibilité comme cette année de prendre un cours en plus, et avec quel professeur, car il y a des préférences (si je comprends bien, ici en ma faveur) ; ma collègue reprend en souriant (pense-t-on toutes deux à la dernière réunion ?), il y a des préférences, on en a tous, mais le planning, l’apport pédagogique… Le cas d’une élève revêche, que j’appréhendais un peu, se résout grâce à une maman pas du tout revendicatrice, qui se doutait bien qu’il y avait maldonne et une autre version à entendre, elle fera la médiatrice.

Nous repartons à trois jeunes professeurs vers la gare, chacun avec une rose blanche et un petit pot de nougat, offerts avec des yeux brillants — encore gâtés. L’enthousiasme des élèves met à distance les tensions qu’il peut y avoir en interne, dont on débriefe et que l’on abandonne en devisant sur le chemin du retour.

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Les iris fleurissent

Jeudi 26 juin

Le bon cadeau de Noël de Mum expire bientôt : semi-razzia à la boutique de danse. C’est trop, ça entache le plaisir d’une sensation de gâchis, la somme dépassant le montant de ce qui m’aurait spontanément attirée dans la boutique.


Derniers cours : ceux de trop ? Nous ne sommes que quatre en barre au sol (trois élèves), cinq en cours classique (quatre élèves, les plus jeunes). Tout dans le goût a déjà fini mais ce n’est pas encore fini, pas tout à fait, c’est infini de fait, j’aurais envie de m’arrêter avant la fin, je papote, digresse, reviens et enfin, ça y est. Nous allons prendre un verre à quatre ensuite. Dans un bar. Je ne fuis pas. Je découvre ce que font ces jeunes femmes lorsqu’elles ne dansent pas, leurs études, sauf pour une qui est déjà une vraie adulte, comptable avec ça. Une autre est en marketing, en partance pour un stage au Canada. La dernière, ou première, ou celle que vous voulez, la plus mutine en tous cas, fait du droit, aimerait tout plaquer mais elle ne sait pas pour quoi. Je ne pensais pas prendre le dernier métro, terminus bien avant chez moi, j’attrape le dernier (l’avant-dernier ?) tram.

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Vendredi 27 juin, samedi 28 juin, dimanche 29 juin

Les vacances, enfin (à une réunion près). Le boyfriend là. Il n’est plus nécessaire de tenir, mais je tiens encore, comment, à quoi, à lui qui va partir, pas dimanche mais dans quelques mois, il va partir et rester, s’éloigner dans une nouvelle maison mais pas dans son affection, mes peurs enfouies ont du mal à faire la différence, il leur parle et me chatouille le flanc de son index, c’est toi qui as commencé, c’est vrai, c’est moi qui ai commencé à m’éloigner, ne t’éloigne pas, reste avec moi, collé, koala, tes bras autour de moi ou d’une partie de moi, cuisses, nuque, pieds massé pendant que sur un écran des chaussures fluo s’agitent autour d’un ballon ovale ou que toute la misère géopolotique et climatique du monde s’immisce dans le salon. Je lutte à coup de somnolence, de salade edamame-nectarine-ricotta ou melon-haricots verts, de culotte-canapé, me réjouis de baisers toute la journée sans m’interroger sur une éventuelle prolongation sexuée, d’allers et retours jusque tard dans la matinée pour voir si et, non, le regarder encore endormi dans mon lit, apaisant comme un gros chat, nos rythmes décalés, notre amour accordé par-dessus, une échappée solo à travers le parc Barbieux qui lui échappe, il dort toujours, du bon pain au retour, pas de couvertures de survie chez Lerclerc à coller sur les fenêtres mais une ginger beer qui fera l’affaire, même si, tout de même c’est étrange, le F du bouchon ressemble à celui des finances publiques. Le boyfriend, lui, comme toujours, est au Coca. C’est satisfaisant un frigo bien rempli, observe-t-il après m’avoir aidé à faire le plein, en prévision de ma semaine de repos post-infiltration. C’est presque trop, toutes ces denrées qu’il ne va pas falloir laisser se perdre. Si seulement mes craintes-rétentions-appréhensions pouvaient, il n’y a plus qu’à, en vérité, les laisser tranquillement se vider comme les clayettes, un jour, un repas après l’autre, sans se soucier de gâcher, juste savourer. On est bien ensemble, à se dire qu’on est beau, qu’on est belle, n’importe quoi, à péter, roter, rire ou même pas, à ne rien faire et doucement apprendre à n’avoir rien envie de faire de plus, qu’être ensemble, s’avoir sous la main la peau ton odeur, je te renifle comme le chat, ton petit chat qui te manque déjà.

Trois collégiens sur un banc du parc Barbieux m’interpellent, je suis prof, c’est sûr, j’ai une tête à être prof. Sont-ce les lunettes ? Les fringues ni féminines ni sportives ? Je ne porte pourtant pas mon sweat Pronote. Je réponds couci-couça de la main : « Prof de quoi, alors ? » Ils proposent les petits, maternelle ou primaire. J’abats ma carte de prof de danse. Prof de danse, c’est prof quand même.

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Lundi 30 juin

Infiltration. Je redoute la douleur au moment de l’injection, mais cela n’a rien à voir avec l’infiltration dans le dos pour la hernie, la piqûre est presque plus discrète qu’une prise de sang. Je claudique par précaution au retour, pour solliciter le moins possible l’articulation. 48h de repos / immobilisation, pile pendant la canicule. Confinée dans mon salon que les dalles de la terrasse ont vite fait de transformer en étuve, je rêve de la (relative) fraîcheur sous les arbres du parc Barbieux et m’absorbe dans la rédaction-mise en forme de ma deuxième newsletter. J’y passe l’après-midi et la soirée, jongle avec diverses applications de dessin, téléchargement, conversion, finis par avoir gif et illustrations.

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Les pousses de pinellia ternata apparaissent
(quelles sont toutes ces plantes que je ne connais pas ?)

Mardi 1er juillet

Vers 6h du matin, peut-être même un peu avant, j’ouvre la fenêtre pour retrouver la fraîcheur mais ne me rendors pas, malgré une nuit de moins de cinq heures du sommeil (effervescence mentale puis chasse au moustique en amont de la nuit). Le mal de crâne que j’imputais à la chaleur ne m’a pas quittée, et le Doliprane n’y fait rien : c’est un effet secondaire possible du produit injecté. Avec l’excitation, les troubles du sommeil, l’euphorie (tiens, tiens) et les bouffées de chaleur. Timing impeccable, par trente-cinq degrés.

À 7h45, mes coups de marteau résonnent dans tous les jardins du quartier. Perchée sur mon escabeau (le poids déporté sur la jambe gauche), je cloue un vieux drap housse troué et une alèse sur le caisson en bois qui abrite le store banne qui aurait été bien utile, mais que la propriétaire n’a jamais daigné réparer. Il est cassé depuis bien avant mon arrivée dans cet appartement pourvu d’immenses baies vitrées, mais d’aucun volet. L’installation est laide, mais me satisfait ; le soleil peut arriver.

Nouvelle appli où il faut que j’arrête d’aller compulsivement : l’appli météo 🫠

Si tu veux la meilleure place, déloge le chat. Le boyfriend n’est pas chez moi, ni donc son chat, mais je prends quand même sa place, allongée dans le couloir, le corps offert au moindre filet d’air filtrant sous la porte d’entrée : en boudin de porte, c’est l’expression consacrée (figurent également dans son répertoire la poule de Pâques, le mignon, le lapin). Alors que je suis sur le point de sombrer dans le sommeil après de nombreuses tentatives infructueuses, j’éprouve un frisson. J’ai frais (froid ?) par 35°, mettons 28° ainsi allongée, chaud et froid en même temps. Je me relève pour attraper un drap et me recouche sur mon tapis de yoga, comate ainsi. Je songe à Sophie Galabru quand elle écrit que la convalescence nous fait éprouver l’incompressibilité du temps. La canicule aussi. La canicule serait-elle une sorte de convalescence ? J’ai chaud et froid en même temps, mais surtout chaud, la nuque brûlante. Le thermomètre indique 37,1° mais il indiquait aussi 37,1° quand je frissonnais en plein Covid, je commence à avoir des doutes sur sa fiabilité. Je finis par dormir une heure dans mon lit et le crâne désenclavé me fait l’effet d’une fraîcheur retrouvée. L’application météo dit qu’il n’en est rien.


À quel moment me suis-je dit que c’était une bonne idée de faire des gaufres salées par 35 degrés ? Je me prends une vague de chaleur à chaque ouverture de l’appareil.

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Mercredi 2 juillet

Sentir l’air, le frais sur soi. Le sujet de ma newsletter m’obnubile. Je dessine, décalque, mets en page, écris, corrige, remodèle. Les pensées trouvent toujours à s’emboîter autrement, je cherche sans cesse un nouvel agencement, même pas je : ça cherche en moi, le cerveau en roue libre, tout faire tenir ensemble, les embranchements mutuellement exclusifs de la pensée linéaire. L’euphorie mentale pourrait très bien s’inverser en son contraire, et de mouliner, spiraler. Depuis combien de temps n’ai-je pas pris ma vitamine B12 ? La corrélation une nouvelle fois se vérifie.

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Jeudi 3 juillet

Grande messe de clôture au conservatoire. Le volume d’information n’est pas assez soutenu pour que l’attention se soutienne d’elle-même. Je me concentre alternativement sur les quelques sièges en velours rouge élus par le soleil, les dorures-moulures, l’ombre d’un pigeon, ma posture, ce qui est dit au micro et retransmis trop fort par l’enceinte*. Deux heures à se retenir d’exister.

Puis c’est la dernière réunion, deux heures et demie à énoncer des jours, des horaires, des initiales et des combo de lettres et de chiffres pour tenter de concilier l’inconciliable. Surchauffe cérébrale. À un moment, mon cerveau a cessé de fonctionner, la phrase m’a échappée. Après, à quelques mails près, ce sont les vacances.

* Je me maudis de ne pas avoir osé bouger, de m’être résignée à subir ce qui a fait monter d’un cran mon acouphène, lequel une semaine plus tard n’est toujours pas redescendu. Ça m’apprendra, ça ne m’apprendra rien.


Le fils de ma marraine, de quelques années plus jeune que moi, s’est suicidé. Ça ne se dit pas (ça n’empêche pas de le faire). Il nous a quitté, c’est la formule, pour une fois pas si usurpée ; il y a eu action et volonté de sa part. Je ne l’avais pas revu depuis des années, depuis l’adolescence peut-être, il n’y a pas de lien affectif, pas de chagrin. Mais de la sidération, il y a. C’est irréel. Ça me réancre dans le changement, bizarrement, charriant encore plus loin un pan de passé.

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Vendredi 4 juillet

Mum a filé à la mer pour l’enterrement.

Au premier étage de la médiathèque, on entend les couverts tinter dans le patio en contrebas. Je les perds d’ouïe dans mes recherches, les retrouve au moment d’aller biper mon butin. Comme une fenêtre sur un passé estival.

Pastèque, feta, olives noires, un classique estival

La terre se courbe, s’apaise et le cyclorama de la végétation réapparait lorsque je suspends ma lecture allongée dans l’herbe, dans l’ombre d’un petit arbre que j’occupe seule. Les mémoires de Petipa ne sont pas du tout ce à quoi je m’attendais. Le sujet d’une autre newsletter ?

Tendinite à l’avant-bras droit. Je résiste (mal) à la tentation d’écrire (taper), scroller.

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Samedi 5 juillet

Je fais le ménage, une partie : l’appartement passe de complètement cradoc à « il faudrait passer un petit coup ». Le genou ne moufte pas : c’est l’autre genou, sur lequel j’ai basculé tout mon poids pendent quelques jours, que je sens au bord la douleur. La blague. Le soir, Mum me parle des fleurs blanches et du cercueil rouge comme un jouet d’enfant. Je n’y avais plus pensé jusqu’à me faire des gaufres à la banane (très bonne alternative au banana bread) et les manger chaudes, fondantes, éminemment plaisantes. La troisième newsletter est prête en avance. Vacance. L’à quoi bon menace. La conversation caresse.

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Dimanche 6 juillet

[rêve] dernier cours du mardi soir, une barre cassée, les élèves espacées dans presque deux salles, un corps a été découvert dans le jardin du conservatoire, je laisse Laura Cappelle poursuivre le cours, me rends à la découverte du corps, il n’est pas en décomposition mais le squelette est récent, encore tâché de sang, les corps finissent toujours par remonter de terre, une armure métallique a été découverte, un pan plein, un autre aéré, la place d’un pacemaker, un arrêt cardiaque, je reviens au cours, Laura Cappelle me corrige le poids du corps dans un fondu, elle a tout assuré, j’aurais dû rester, un autre cours ailleurs à donner, s’y rendre est laborieux, le temps de trouver comment s’organiser dans les couloirs de l’immeuble panoptique, de marquer l’exercice en croix avec les mains, c’est déjà fini, nous n’avons fait que deux exercices, la circulation est déviée, le retour en train, à Marseille, compliqué

Premier dimanche du mois. C. et moi attendons l’entrée gratuite devant le palais des Beaux-Arts sous nos parapluies ; je ne pensais pas me souvenir de la sensation de froid si tôt après la canicule. On visite en dilettante, en amies qui se retrouvent, parlant de ce qui se trouve devant nous comme de ce qui ne s’y trouve pas. Dans la galerie des sculptures, on tripote des morceaux de marbre, brut, lisse, poli, de cire et d’argile mis à disposition sur des tables entres les sculptures, on admire et on médit, entre liens et anachronismes, on réfléchit à ce qu’on aimerait manger. C. reconnaît plus que moi : le Greco, une sculpture de squelette encore en décomposition, les bleus de Geneviève quelque chose, qui l’amusent moins que les textures vinyle de Soulages.

Des ellipses rouges dans la grande salle du palais des Beaux Arts Les ellipses réassemblées forment une cible de trois cercles concentriques Il manque un micro bout de cercle rouge à cause d'un tableau de Soulages éclats bleus dans une galerie, 3, 2, 1… les éclats sont réassemblés en grands pics Troisième anamorphose reconstituée, comme un gruyère noir Détail d'une peinture à la Bosch où une main sort d'une coquille d'oeuf géante et tente d'attapper un poisson dans une grille, sur laquelle lorgne un chat chelou : "bataille à venir pour le poisson au barbecue" Officiellement c'est un buste de chanteur. Je pense juste qu'il méprise fort quelqu'un à côté de lui. Derrière un saint agenouillé, une femme de marbre se tient les seins comme dans un porno : "Non mais les mecs… quelle nana se tient d'elle-même les seins comme ça ?" Une table explicative où l'on peut toucher les matières à différents stades Détail d'un tableau vieillot où j'ai entouré les mains aux doigts potelés et écartés : "Attention aux mains mygales" Peinture d'un homme qui regarde une vision céleste : "pardon mais le mec a un trop beau visage ?" Ne vous inquiétez pas, il y a des oeuvres que j'ai appréciées preier degré. (un clair obscur à la Vermeer) Plus efficace qu'une squelette achevé, la statue d'un cadavre en décomposition, où le squelette apparaît sous un écorché de muscles et lambeaux organiques

(On m’a confié en DM Insta avoir connu des femmes qui se tiennent les seins comme dans la vision de Saint-Antoine au moment de l’orgasme, mea culpa.)

Une fois la dernière anamorphose de Felice Varini reconstituée, nous filons nous réfugier chez moi, bien au chaud derrière des nouilles instantanées pimpées à la hâte d’un œuf mollet mal écalé. Et c’est une après-midi de discussions sur le canapé, où je finis par m’éventer en racontant les croustillances de ma courte période Tinder. La glace fudge brownie rafraîchit, les gaufres à la banane tiennent lieu de dîner. C’est décadent, dit-on à plusieurs reprises. C. a 8 ans quand elle régresse ainsi, soit trois ans de plus que moi.

Nous reprenons la discussion sur le radeau-canapé, on feuillette un livre de recettes emprunté à la médiathèque comme un couple feuilletterait le catalogue Ikea, on tourne toutes les pages, on commente, on se donne rendez-vous pour une recette à cuisiner de concert chacune de notre côté. Puis la conversation se fait plus intime, le jour la nuit tombe, est tombée, nos pieds ont quitté terre, nous ont rejoint sur le canapé où nous parlons psy, rigidité mentale, loyauté mal placée, il faut qu’il faudrait remplacer par j’ai envie, qu’on aurait envie de remplacer par, on se corrige, on se reprend comme un métier, comme un ouvrage, jusqu’au moment où demain approche et déplier le canapé-lit.

Nos comportements sont leur plus-value

JS
, 11/07/2025 | Source :

11 juillet 2025

J'essaie de comprendre le monde, mais pourquoi ? Je crois que je commence à perdre l'écriture. La pensée peut faire comme le sable dans l'attente permanente de quelque chose, c'est une marée que les réseaux amplifient, ce qui n'était pas le cas avant 2007-08, environ : on n'attendait rien. C'était une situation d'échanges, proche ou loin du clavier, il suffisait de sortir pour s'éloigner, et rentrer allumer l'ordinateur. Ou l'inverse, notez-bien. Il y avait pour toute situation un moyen très simple d'y échapper. C'est ensuite que c'est devenu intrusif et malsain, et je n'ai rien vu venir, c'était là dans ma poche. Et c'est venu avec le travail, les sociologues le constatent : les premiers téléphones mobiles (avant les smartphones) étaient d'abord des téléphones de fonction. Utilisés dans le cadre personnel ensuite, puis ça a fait boule de neige. Qui attend quelque chose de nous ? Une notif, une preuve de travail ? C'est un patron. Les téléphones ont introduit un rapport de travail, comme dans la hiérarchie d'un bureau, pour que les utilisateurices d'un téléphone soient toujours disponibles, aux aguets, on en est tous·tes les employé·es. Pourquoi j'ai ce téléphone dans ma poche en permanence ? Un parasite ? Oui, littéralement, l'extension de quelque chose de néfaste qui nous utilise comme hôte [1]. Dans le métro ce matin, jamais je n'ai été si mal à l'aise de voir autant de regards tournés vers leurs écrans. Quand il y a un ou deux passagers qui le fait, ça passe. Mais, là, par dizaines, à l'heure de pointe, en équilibre précaire puisqu'une main prise par le téléphone et l'autre par le sac, ça devient burlesque. Il faut imaginer Charlie Chaplin venir observer ça puis en filmer la satire. Ou Jacques Tati, ou Georges Orwell. Je n'aime pas être le technophobe de service, et ce n'est pas de cela dont il s'agit. Il serait déplacé de m'accuser de technophobie quand je gagne ma vie à développer des sites web, ou à utiliser ça pour la littérature un peu partout, et puis tout bêtement il y a des choses encore qui existent, de simples sites web [2], pour le reste, il s'agit simplement de dire que ce n'est plus de la technologie utile, ni même cool : personne n'a besoin de regarder plusieurs dizaines de vidéos de quelques secondes sur son trajet pour le taf, personne n'a besoin de regarder ses mails en marchant dans la rue, personne n'a besoin de répondre à un commentaire en prenant son petit-déjeuner. Et plus que ça, même pas inutile, c'est toxique. Car oui, j'ai fait tout ça, et avant cela, comme au tout début, un jour, j'ai trouvé génial de pouvoir acheter un court livre numérique en montant dans le métro, et le lire sur mon trajet, puis le terminer et partager l'expérience sur un réseau au moment de sortir de la rame. C'était en 2010, c'était nouveau et surtout il fallait aller chercher le livre, provoquer l'action, et lire ce livre-là en particulier, car je me souviens exactement de quel livre, sur le plaisir de lire, c'était simplement pour ce livre, une expérience personnelle, unique, en abyme, pas une avalanche provoquée par un algorithme qui analyse le comportement en cherchant à l'influencer [3] et qui finit par provoquer cette espèce d'addiction de masse qui se traduit par ces pouces sur ces écrans dans les transports en commun où j'ai déjà vu quelqu'un tomber de sommeil sur une vidéo passée après une autre vidéo passée après une vidéo passée. Cela ne change rien au mouvement dodo-boulot qui se crée le matin, bien que les méthodes de travail changent dans le même mouvement (voir la note) puisque les comportements étudiés-modifiés le sont aussi dans le cadre du travail, d'ailleurs, une conversation de deux qui ne regardaient pas d'écran parlait d'IA dans le cadre du travail de graphiste, et dont le patron de l'une ne comprenait pas qu'elle aurait préféré ne pas [4] utiliser l'IA et faire à la main. Je me suis retenu de m'inviter dans cette conversation pour sortir la citation apocryphe d'Henry Ford : "si je pouvais faire travailler des bœufs dans mon usine, je le ferais", elle-même dérivée d'une phrase de Ford non sourcée : "pourquoi est-ce qu'à chaque fois que je demande une paire de bras, ils viennent avec un cerveau accroché ?", qui vient d'une ambiance et d'une philosophie plutôt sûre et permanente et qui se traduit aujourd'hui par l'IA qui doit remplacer l'humain. Les capitalistes en rêvent, mais réellement : certains mettent des milliards de dollars là-dedans pour éliminer l'humain de l'équation du profit. Je ne dis pas ça comme une formule, éliminer, car il se trouve que beaucoup d'humains sur Terre veulent effacer d'autres humains, par milliers ou dizaines de milliers d'un coup si possible. C'est un truc qui existe. Bref, je parlais du travail, mais la barbarie à l'œuvre dans l'exploitation infaillible des humains n'est pas si éloignée que ça que celle qui sait faire exploser les chairs et les os, je veux dire, il y a un lien tout droit, pas si méandreux ni ténu que ça. J'ai toujours trouvé totalitaire le milieu du travail, où la liberté d'expression ne peut pas exister : un journal ou affichage libre publié par les employé·es ? Impensable. Gérer son temps, parler, sortir, rentrer ? Impossible. C'est un rapport d'enfermement et de contrôle du corps à tout instant. L'écosystème smartphone—réseaux-sociaux étend simplement ça à toute la vie, avec des outils d'analyse et de modification inédits, et une plus-value qui se transforme en rente taxée à la source (jusqu'à 40%) par les plateformes et qui part directement dans les paradis fiscaux. C'est évidemment là-dessus que j'essaie d'écrire (pas seulement sur Talk-Talk) en ce moment (mot-clé AAA) mais ça ne décolle pas, mes tentatives. Passons.

Daniel Bourrion, 19 francs :

L'autocar, celui qui montait les hommes vers les géants de feu, je l'ai pas pris longtemps, j'ai fini par découvrir qu'une ligne des transports urbains allait dans la même direction et que c'était plus simple niveau horaires, moins de chances de rater l'heure et de rester planté comme un bizarre à l'arrêt vide – et puis peut-être que j'avais peur quand même qu'un jour je descende pas de l'autocar et que je me retrouve condamné à bosser pour de vrai.

Bien sûr, toutes mes dérives dans l'espace-temps dedans-dehors de mon cerveau transporté par un simple souffle de vent sur une colline, parfois il ne me faut pas grand chose, tout cela et toutes mes hésitations à écrire, à ne pas écrire, tout cela ne change rien, bien au contraire, à l'objectif d'éradiquer le capitalisme et le patriarcat.

Dans le jardin sauvage, le 3.7.25, on lit :

j'ai une question - je cherche juste un mot, un mot pour vaincre la parole - pour vaincre le mot - il n' y a pas de mot juste - j' ai peur - j'ai peur de quel mot - de ma langue vers quelle langue - bouche fermée - pour vaincre la question - tais - toi tais - toi - visage de profil - visage de face - le mot se sauve - corps debout - changement de voix - ça commence là - face à face - on dresse une table d' oubli - avec des mots et du silence - je sors parler avec le vent parler à grand pas avec le vent la lumière le ciel


[1] D'après le biologiste Robert Brooks et la philosophe Rachael L. Brown, à lire dans Libération (je remercie Ana NB pour l'article). « De la même manière que certaines guêpes pondent leurs œufs dans des pucerons, et que ces œufs se développent en se nourrissant du puceron, le smartphone est littéralement une extension d'une entreprise privée qui se développe en envahissant son hôte (c'est-à-dire, nous). »

[2] Quentin Leclerc dans ses Relevés en cite régulièrement. Concernant les belles choses, j'aurais pu évoquer le RSS mais Netvibes a fermé le 2 juin 2025, je l'apprends en essayant de me connecter à mon tableau de flux. Pour qui a oublié RSS ou ne sait pas ce que c'est, c'est un moyen de s'abonner aux nouveaux articles d'un site, tout simplement. Netvibes n'était qu'un fournisseur de solution d'organisation d'abonnements, j'en avais l'habitude, mais c'est triste de voir ça, pas de panique : il en existe d'autres, il faudra que je me refabrique tout. Sur Quentin, qui explore le web calme, hors réseau, signaler son roman Casca entièrement lisible ici librement, et le dernier, en cours de parution hebdomadaire à cette adresse, Miami=Paradis, tout aussi librement.

[3] "Le capitalisme de surveillance revendique unilatéralement l'expérience humaine comme matière première gratuite à traduire en données comportementales. Bien que certaines de ces données soient utilisées pour améliorer des produits ou des services, le reste est déclaré propriété sous forme de surplus comportemental, intégré à des processus de fabrications avancés connus sous le nom d'intelligence artificielle, et transformés en produits de prédiction pour anticiper ce que vous allez faire maintenant, bientôt et plus tard. Enfin, ces produits de prédiction sont commercialisés sur une nouvelle place de marché pour les prédictions comportementales que j'appelle marchés des comportements futurs. Les capitalistes de la surveillance sont devenus immensément riches grâce à ces opérations commerciales, parce que de nombreuses sociétés sont impatiente de parier sur nos comportements futurs." [...] "Finalement, les capitalistes de la surveillance ont découvert que les données comportementales les plus prédictives proviennent de l'intervention directe sur l'état des lieux visant à influencer, embobiner, ajuster et mener le comportement du troupeau vers des résultats rentables. Ce changement a été induit par la pression concurrentielle, permettant aux processus automatisés non seulement de connaître nos comportements, mais aussi de les façonner à grande échelle.", Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism, 2018. Évidemment, la suite logique étant que sur le marché des idées et comportements politiques, cela fonctionne également, et mieux en mieux chaque jour.

[4] Lisons et relisons Bartleby.

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Jérôme Orsoni
, 10/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Scène d’un grotesque cosmique. L’homme pousse son gros ventre à travers le boulevard. Il porte un marcel noir, un bermuda vaguement assorti, et des chaussures de sport grisâtres comme des sabots. Soudain, au beau milieu de son périple urbain, il s’immobilise et adresse de grands gestes à une voiture qui ralentit pour lui céder le passage. On pourrait les traduire par la progression suivante : « Passe. Qu’est-ce t’as ? Casse-toi ! » Langage ordinaire de l’univers. Limite toujours amincie qui nous sépare du meurtre. Sur les trottoirs, de part et d’autre du boulevard, c’est la taverne omniprésente. Des femmes et des hommes sont attablés autour de verres de bière ou d’autres alcools qui sentent le remugle et d’assiettes qui n’inspirent guère que graisse et maladies coronariennes. C’est cela, le bonheur, à Paris, l’été, de consommer. Si l’on émet l’hypothèse que le microcosme est une image miniature du macrocosme, il est urgent de détruire le cosmos pour inventer quelque chose de neuf qui échapperait enfin à l’universelle grossièreté. Si ce microcosme n’est pas une image miniature du macrocosme, mais une sorte d’anomalie de l’humanité attardée, on a hâte de fuir cet endroit pour des rivages plus accueillants, plus ouverts, plus justes, plus évocateurs. À présent, l’homme est allongé sur le banc de l’abribus. Par terre, devant lui, sont posés de grands sacs qui débordent dont l’un est fixé à une sorte de chariot. Installé comme il est, sur le flanc droit, les jambes repliées, le bras fléchi qu’appuie un sac à dos qui lui sert de coussin et la main sur la paume de laquelle repose sa tête, on dirait un empereur romain.  Et c’est vrai que le peu de cheveux qu’il lui reste sur la tête semblent une manière de couronne de laurier. Ou peut-être est-ce un dieu, égaré dans le labyrinthe de l’histoire, qui sait ? Un homme porte la pinte aux lèvres, grimaçante libation. Cela fait trois semaines et un jour que je n’ai pas bu d’alcool. Et, encore que la tête me semble lourde — mais c’est l’ennui qui pèse ainsi —, cette ascèse me rend léger. Léger. De plus en plus léger.

Avancées (28) : 9-10 juillet 2025

Clément Alfonsi
, 10/07/2025 | Source : Anath & Nosfé

Certains écrivains adoptent une forme, qu’ils déploient dans ce qu’on appellera naturellement une carrière. Parmi eux, les plus nombreux admettent une forme préétablie, et une infime partie s’attache à créer une forme singulière, réutilisée avec variations de livre en livre. D’autres enfin ne peuvent s’en tenir à une forme, à un style, vont sans cesse bondir d’une forme à forme, casser la forme ancienne. Un modèle de ce dernier type peut être trouvé en Pier Paolo Pasolini. Cependant, pour un jeune écrivain, passer de forme en forme est souvent mauvais signe : le style n’est pas encore trouvé, affermi, les hésitations traduisent des références encore mal digérées. Un jeune écrivain devrait s’imposer une forme et la travailler jusqu’à acquérir des compétences d’artisan de la phrase ou du vers. Ensuite, peut-être, il pourra songer à devenir artiste.

L’été commence par une cavale heureuse. Le concert de Nine Inch Nails à Paris fut un beau moment. Trent Reznor donne l’image d’un artiste désespéré qui vieillit bien, d’une dépression structurée esthétiquement, avec un travail du son et du spectacle qui permet de tenir. Tous ses premiers albums sont hantés par la violence et la question du suicide ; à désormais soixante ans, tout respire chez lui la dignité, et une certaine classe : l’homme en noir, entouré de très bons artistes (on pense notamment à Atticus Ross au synthé), marchant dans la foule, jouant du piano puis de la guitare électrique puis du synthétiseur tout en chantant, enchaînant ses classiques, parfois sur un rythme très différent de l’original, le tout sous un décor visuellement varié et digne d’intérêt. Avec Anaïs, nous avons simplement regretté que cela ne bougeât pas plus. Peut-être était-ce lié au public, à notre place un peu loin dans la fosse, ou surtout aux choix de Reznor : le changement de scène au-milieu du concert a coupé les élans rock, et c’était visiblement volontaire. Les spectateurs avaient l’air surpris par l’aspect électronique d’une bonne partie du concert, alors même que son premier album est fondé sur le synthétiseur, de même que ses derniers et ses musiques de film faites avec Atticus Ross (ils ont obtenu un nouvel Oscar cette année). Beaucoup de gens semblaient venir pour The Downward Spiral et les morceaux de rock dit « industriel » qui ont fait le succès du groupe, mais Reznor s’est montré comme artiste toujours en travail, en quête de renouveau et d’explorations. C’est moins plaisant pour le spectateur moyen, mais un bon spectateur vient voir un artiste face à son art.

Deux jours plus tard, les réflexions se posent de manière assez semblable à Musilac. Il faut dire, tout d’abord, que l’organisation du festival est vraiment très bonne ; ça change de Rock en Seine. Nous faisons comme souvent : nous venons pour un groupe, en l’occurrence Fontaines D. C., et profitons du reste. L’avantage des deux scènes côte à côte est indéniable : très peu de temps mort entre les concerts, on peut se placer pour un concert suivant tout en écoutant celui en cours. Absolument tout était très bon. Amyl and The Sniffers a fait son show punk, idéal pour se chauffer en début de soirée. The Last Dinner Party est un groupe que je ne connaissais pas, et dont la performance donnait envie d’aller tout écouter : bien composé, bien joué, varié. Ensuite, il y avait Air. Je crois que jamais l’adjectif propre n’a été aussi pertinent pour parler d’un spectacle : classe, simple (que des classiques du groupe), impeccable à tous points de vue. Une heure de contemplation profonde. Là, avec Anaïs, nous nous installons au quatrième rang pour Fontaines D. C., en nous disant que nous n’écouterons que d’une oreille Clara Luciani. En vérité, elle a assuré. Les choix d’arrangements rendent ses beaucoup plus rock que les versions originales. Même le public lointain, qui comme nous attendait le groupe suivant, participait à l’ambiance. Et enfin, que dire de Fontaines D. C. ? Ils surnagent loin au-dessus de ce qui se fait ces dernières années en musique populaire. Grian Chatten a une présence exceptionnelle sur scène : il ne parle presque pas (ses seules paroles ont été « Merci » et « Free Palestine »), se poste juste devant le public, a besoin d’un seul geste pour que tout le monde saute. Il faut dire aussi que nous étions tout devant, au-milieu de ceux qui comme nous connaissaient chaque chanson par cœur, aussi l’atmosphère était-elle particulièrement bonne.

En rentrant je reçois deux beaux ouvrages édités par Épousées de l’écorce. J’en parlerai ici, si le temps le permet. Il y a des projets en cours, dont je peux difficilement parler : un nouveau carnet qui me mène encore je ne sais où ; quelques travaux liés au scolaire. Dans deux jours, nous partons en Corse. La connexion internet tend à arriver dans le petit village, mais il n’est pas garanti que je pourrai utiliser l’ordinateur ou le téléphone. Aussi, peut-être une coupure, peut-être pas. Je ne peux pas prévoir ce que seront les avancées de la semaine prochaine, s’il y en a. C’est bien.

Journal d'un écrivain/ 16

Laura-Solange
, 10/07/2025 | Source : JARDIN D'OMBRES

 

Mardi 29 avril 1930

Et je viens juste de terminer, avec ce dernier trait de plume, la dernière phrase des Vagues. Il me semble qu’il fallait que je note cela pour ma propre information. Oui, cela a été le plus grand effort intellectuel que j’aie jamais fourni ; du moins, les dernières pages. Je n’ai pas l’impression qu’elles retombent comme d’habitude. Et je crois m’en être tenue avec une rigueur ascétique à mon plan initial. C’est là le meilleur compliment que je puisse m’adresser. Mais je n’ai jamais écrit un livre si plein de trous et de morceaux. Cela demandera une reconstruction, oui, et pas seulement une remise en forme. Je crains que la construction ne soit mauvaise. Tant pis. J’aurais pu me contenter de quelque chose de facile et de coulant. Mais ce que j’ai fait marque un effort pour atteindre cette vision que j’ai eue à Rodmell durant ce malheureux été, ou pendant les trois semaines qui ont suivi La Promenade au phare. (Et cela me rappelle que je dois trouver en toute hâte une nouvelle provende pour mon esprit, sinon il va se remettre à picorer misérablement. Quelque chose d’imaginatif et de léger, si possible, car après les premiers moments de soulagement divin, je vais me fatiguer d’Hazlitt et de la critique ; et je prends agréablement conscience de tout ce qui s’ébauche à l’arrière-plan de mon cerveau. Une vie de Duncan ? Non, quelque chose à propos de tableaux illuminant un atelier. Mais cela peut attendre.)

Et je pense en moi-même en marchant le long de Southampton Row : « Voici que je vous ai donné un nouveau livre. »

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de  Germaine Beaumont



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Jérôme Orsoni
, 09/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Pour échapper au dégoût qu’inspire le monde social, faut-il échapper à la vie ? Mais faut-il échapper au dégoût ? Ne porte-t-il pas le poids de la réalité, plus qu’il ne porte sur elle, poids sous lequel il se refuse de céder ? Et puis, qu’est-ce que cela veut dire, échapper à la vie ? S’échapper de la vie ? Mais, tout d’abord, y a-t-il un ailleurs ? Et, à supposer qu’il y en ait un, où serait-il ? Ailleurs, c’est vrai que c’est toujours un peu nulle part, mais cela est-il le sens que tu veux donner à la phrase ? À toutes les phrases ? Éternelles vacances, n’est-ce pas le rêve ? Au lieu de toujours rentrer, et trouver porte close. Car, elle est peut-être bien là, la vérité, dans la fermeture du monde, l’enfermement : le monde social est un bocal dans lequel on tourne sans fin, sans but, sans raison, sans issue, sans horizon. Le vrai fou, dès lors, n’est-ce pas qui ne devient pas fou, qui tient le coup, qui s’en sort, sans jamais sortir, qui s’accommode, qui s’habitue, qui se fait à tout, qui convient de tout, et à qui tout convient ? Convention de notre réalité, qui n’a rien de convenable. Comment se fait-il qu’on ait toujours le sentiment de dysfonctionner face à la normalité ? Et qu’on en vienne toujours à se dire, d’une manière ou d’une autre, si j’étais un autre, tout n’irait-il pas bien mieux ? Désert de la sensibilité. Comment se fait-il que tous ces gens ne nous semblent pas perdus, mais qu’il sachent parfaitement, au contraire, où ils vont, et qu’ils y aillent ? Pilotage automatique. Voyant tous ces corps être, on se dit qu’on pourrait s’absenter mille ans, le délai n’y changerait rien, on les trouverait identiques à eux-mêmes, faisant toujours de même, faisant toujours le même. Les dehors auraient peut-être changé, oui, comme la mode, mais la vie sociale serait toujours fondamentalement égale. Tout n’est-il pas fondamentalement égal ? Ce n’est pas ce que je voulais dire. Ni même broyer du noir, non. Simplement l’étonnement. Encore que le mot n’aille sans doute pas. « Se dit en attique de marionnettes, etc. », écrit Chantraine, à propos de θαῦμα, « merveille, objet d’étonnement et d’admiration ». Et il ajoute : « Comme premier terme de composé dans θαυματο-ποιός (avec ses dérivés) “celui qui fait des tours” et θαυματουργός (avec ses dérivés) même sens. » Pas grand-chose à voir avec l’origine de notre traduction, adtonare, « frapper de la foudre ». Même les rois thaumaturges, au fond, ne sont que des faiseurs de tour. Le θαυμάζειν, ainsi, ne signifie pas la stupéfaction, la stupeur qui nous frappe, il n’y a aucune crainte dans sa signification, aucun tremblement, mais les yeux tout ronds ouverts devant un tour que l’on exécute sous nos yeux : il doit y avoir un truc, un tour de passe-passe, qu’il appartient au spectateur de démasquer. Peut-être est-ce Descartes, avec les manteaux et chapeaux de ses Méditations, qui a le mieux compris le sens de ce θαυμάζειν (je ne parle pas de la réponse, je parle de la question) : qu’est-ce qu’il y a là-dessous, qu’est-ce que le monde social nous cache, qu’est-ce qu’on essaie de nous faire accroire, pourquoi cherche-t-on à nous toujours duper ? Qu’est-ce que cache la réalité telle qu’elle se présente à moi ? Qu’est-ce qui me prouve que tout n’est pas faux, mensonge, tricherie, trahison ? Et caetera. Le masque dégoûte : il falsifie.

2. Une invitation imprévue

Safia Sofi ouvre le casier à son nom et y range ses manuels. Elle colle derrière la porte une photo qui a été prise pendant l’été.

C’est une photo qui résume sa vie : au centre il y a son frère Gon en train de dormir dans son lit médicalisé. Elle se tient debout derrière le lit, près de l’oreiller, avec Leblanc à sa gauche, mais qui ne la touche pas.

Il y a un petit espace qui les sépare.

C’est Mascarade qui a proposé de prendre la photo parce qu’il trouvait que la lumière était belle. Il a dit : on dirait une vraie famille.

Safia Sofi et Gon vivent depuis trois ans avec Leblanc dans une maison qui appartient à Tim, au nord de Miami. C’est une colocation étrange vu leur passé commun, mais tout le monde a fini par s’y faire.

Safia Sofi ferme son casier et fait face à un étudiant adossé contre le casier voisin, avec des cheveux blonds qui dépassent de la casquette qu’il porte à l’envers. Il a des vêtements de toutes les marques les plus chères dans le domaine du skate.

Il dit : salut, moi c’est Daisuke.

Safia Sofi ne donne pas son nom.

Daisuke dit : je fais une fête samedi soir si tu veux. C’est chez mes parents. Il sort un feutre d’une poche de son pantalon et le débouche avec ses dents pour écrire sur la couverture d’un des classeurs de Safia Sofi.

Il rebouche et range le feutre.

Il dit : viens à l’heure que tu veux, et puis il s’éloigne dans le couloir jusqu’à tourner dans un autre couloir.

Safia Sofi lit l’adresse sur son classeur.

C’est dans un quartier de riches.

Trois filles rangées en triangle l’accostent et lui demandent comment elle connaît Daisuke. Je ne le connais pas, dit Safia Sofi. C’est lui qui est venu me parler.

Montre, dit la cheffe en lui prenant le classeur de force. Elle dit : regardez les filles, il lui a laissé son adresse. Ses deux amies forcent le dédain pour cacher leur jalousie.

Tu vas y aller ? dit la cheffe.

Elle claque une bulle de chewing-gum.

Peut-être, dit Safia Sofi. Elle reprend son classeur des mains de la fille, qui dit : mais c’est qu’elle va se mettre en colère. Les deux filles derrière placent leur rire sur la même note.

Tu ferais mieux de te renseigner avant d’aller chez lui, dit la cheffe en s’éloignant dans la même direction que Daisuke. Je voudrais pas que tu reviennes trauma.

Le rire des deux amies se transforme en écho.

Safia Sofi se rend alors compte qu’il n’y a plus personne autour d’elle, et que son premier cours a déjà commencé.

Le chapitre 3, Le cours de Chloé Price , sera mis en ligne le 16 juillet !

Bôshu (grains dans l’épi)

la souris
, 09/07/2025 | Source : Grignotages

Les mantes religieuses éclosent et sont de sortie
(charmant)

Jeudi 5 juin

Premier rendez-vous avec le kiné que l’on m’a recommandé, dans un cabinet qui m’oblige à quelques contorsions spatio-temporelles : je suis accueillie par sa remplaçante. L’ironie n’est pas tragique, mais je suis dépitée… jusqu’à ce que ladite remplaçante s’avère faire de la danse classique dans l’école où je donne cours (et s’occuper vraiment de mon genou, sans m’expédier avec des électrodes pour paralléliser avec d’autres patients).


L’absurde d’avoir toujours peur de ne pas tenir et réussir à faire cours alors que c’est lorsque je donne cours que je me sens (mentalement) le mieux ces derniers temps. Le studio comme safe place hors du monde, hors de ma tête. (Les transports auront ma peau, en revanche.)


Au cours de barre au sol, les élèves parlent enfin plus librement, posent des questions, s’interrogent sur les sensations qu’ils perçoivent ou qui semblent leur manquer. C’est hyper intéressant, et l’occasion parfois de découvrir qu’il manquait des explications pour qu’un exercice soit vraiment efficace — comme ce pont avec les talons qui s’éloignent pour faire bosser les ischio-jambiers : en cherchant à résoudre pour une élève un problème de lombaires douloureuses par un alignement en « planche » (plutôt qu’une arche très cambrée), je donne à tous une précision qui faisait défaut. Les onomatopées affluent : ça travaille vachement plus comme ça. Si j’explique mal aussi !

Surprise en regardant Y. chercher l’écart : lui qui disait ne pas avoir de problème de longueur de psoas mais buter sur l’allongement des ischio-jambiers a maintenant sa jambe de devant entièrement étirée et c’est bien l’allongement de la jambe arrière qu’il manque pour arriver à l’écart. C’est le seul homme du cours, mordu : il travaille sa souplesse chez lui. Et depuis qu’il reproduit des exercices d’assouplissements actifs plutôt que passifs, ça se voit.


Ce n’est pas à cause de toi que la recherche est compliquée, c’est parce que j’ai moi le désir que l’on puisse se voir facilement : le boyfriend me débloque peu à peu comme divers niveaux d’un jeu vidéo. Net allégement de l’anxiété.

J’en reviens toujours aux mêmes motifs : culpabilité et contrôle. Quand je n’arrive pas à ce que tout coïncide, je n’en tire pas la conclusion que c’est impossible, mais que c’est de ma faute. Probablement parce que si c’est de ma faute, c’est que je peux agir sur la situation, elle n’est pas totalement hors de contrôle — ce qui me semblerait terrifiant, alors que c’est là même, dans cette absence de contrôle, que réside l’absolution. Ce serait reposant de ne pas toujours tout ramener à moi et de ne me soucier que de ce qui dépend effectivement de moi. Ce qui dépend de moi / ce qui ne dépend pas de moi : le stoïcisme comme remède à l’égocentricité ?

…

Vendredi 6 juin

Premier épisode de la série Étoile : c’est stratosphériquement mauvais. On a été habitué pourtant en tant que balletomanes à n’être pas trop exigeant sur la qualité des films et des séries qui prennent la danse classique pour toile de fond. On sait que les danseurs ne sont pas forcément de bons acteurs et que les bons acteurs ont rarement un niveau technique crédible pour jouer des danseurs pro ; on est habitué au mix et/ou à la moyenne des deux. Mais là… la direction d’acteurs (y compris pro, y compris célèbres) est inexistante, c’est pire que tout. Même que Neneh superstar, oui. Au moins faisait-il son job de navet avec dignité ; j’avais passé un bon moment à m’offusquer. Étoile n’en finit pas de tomber à plat, c’en devient gênant. Et c’est d’autant plus con qu’on a rarement eu des danseurs aussi bons dans des fictions à l’écran…


Deux gros pigeons se prennent (amoureusement ?) le bec. Impossible de trancher entre le partage et la scène de ménage, c’est l’illustration de cette expression si bien utilisée à contre-sens par le boyfriend que la bizarrerie a cessé de faire faute : « ils sont en bisbille » comme parties liées  — en désaccord vraiment, ou de mèche ?


Comment ai-je pu laisser le carton du gaufrier-grill se couvrir de poussière ? Je tente enfin de reproduire le sandwich miso-cheddar-courge butternut croisé il y a fort longtemps sur l’Instagram de @lazysunnygirl. C’est un grand oui.


On nous demande de relire le programme du spectacle ; je bascule immédiatement en mode correctrice, à l’affût de la moindre correction ortho-typo et envoie une liste de corrections longue comme le bras (il n’y a aucune rigueur ni cohérence). J’ai quelques remords ensuite, ce n’était peut-être pas une réaction appropriée.

…

Samedi 7 juin

[rêve] les extraterrestres absents menacent notre survie, les hommes disparaissent, bientôt il n’y aura plus personne pour cultiver la terre, je n’ai pas encore commencé à faire des réserves de boîtes de conserve / j’ai tout perdu, perdu le boyfriend, autour d’une table reste ma mère, quelqu’un et mon oncle qui ne ressemble pas à mon oncle, vaguement à mon père ou au boyfriend, piètre figure consolatrice d’avoir tout perdu / je m’apprête à donner un cours de danse, la salle hangar ne s’allume plus une sonnerie sonne l’alerte, on attrape les couvertures que l’on peut, des serviettes aussi ça fera l’affaire, dans la cuisine de ma grand-mère j’attrape une bouteille de jus de fruits, me félicite d’y avoir pensé, hydratation et sucre pour tenir, on descend dans l’obscurité dans la cave qui est plus un entresol qu’un sous-sol, est-ce qu’on sera vraiment protégé ou est-ce qu’on mourra étouffé sous les décombres sans pouvoir appeler au secours dans la langue du pays, quelle idée d’être à l’Est quand se déclare une guerre, on n’a pas été prévenus, par la fenêtre on voit une file de loubards arriver au camping désert d’à côté, ça ne sent pas bon toutes ces gueules fermées crânes drus, JoPrincesse tente de me consoler à propos de mon livre mais ce n’est pas ça, je me fiche du livre, c’est la présence du boyfriend qui m’est essentielle, qui manque, il arrive je crois dans la file des réfugiés au camping sans tente

Quand on hésite entre angine, rhume et grippe, c’est que c’est un Covid. Encore assez léger pour que je donne cours masquée : c’est l’avant-dernier samedi de cours avant le spectacle. Ça ira pour les plus jeunes, hyper investies. Quant aux plus âgées… mon degré d’exigence est désormais que ce soit à peu près ensemble, tant pis pour l’en-dehors, les genoux pliés et les bras mollassons.

Suite à une mauvaise compréhension avec un collègue, je me retrouve avec la totalité des élèves durant l’heure de l’après-midi, soit trente élèves qui bavardent dans un même studio alors que la fièvre commence à monter. Ma voix disparue dans la matinée revient dans un cri pour rétablir le calme — effectif durant environ vingt secondes. Madame, par quel pied on commence dans le cercle, Madame, je ne trouve pas les épingles à nourrice, Madame, est-ce que ça va si, Madame, est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt, Madame, ça va pas pour le porté elle me passe devant, Madame, pour la coiffure… Madame pare au mieux, mais Madame est hébétée (toujours un peu étonnée aussi que la coiffure préoccupe davantage les ados que le fait d’avoir une chorégraphie décente à présenter).


Une collègue est ravie de ma liste de corrections pour le programme ; ça l’agace toujours de remarquer ces approximations…  et me libère des remords éprouvés après-coups.


La fatigue intense arrive dans l’après-midi, les frissons et courbatures grippales le soir. La série Étoile se regarde bien mieux ainsi assommée. Le Doliprane ne fait plus vraiment effet.

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Dimanche 8 juin

Le rosier des roses roses disparues s’est réveillé plein de jeunes pousses hirsutes.


Repos, blog, lecture au soleil (je finis La Végétarienne d’Han Kang), Doliprane, mouchoirs, Sopalin. Et deux heures joyeuses au téléphone avec Melendili, à s’encourager sur nos fins d’années respectives.

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Lundi 9 juin

Réveillée à trois heures du matin, grelottant d’une fièvre inexistante selon le thermomètre. Cours annulé pour cuver le Covid.

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Mardi 10 juin

La fièvre n’est pas remontée ! Ne reste que rhume, mal de crâne et grande fatigue. Après hésitation, je me fais remplacer pour mes deux cours du soir, afin de pouvoir assurer de manière certaine les six du lendemain. J’aime bien la jeune femme qui répond présente pour me remplacer, lui transmets ma fiche d’exercices, la playlist qui va avec et un modèle de facture pour qu’elle ait toutes les infos ; j’aime ce moment de solidarité qui rompt un peu la relative solitude de la profession (on a du monde en face de soi, mais pas tant d’occasions que ça d’échanger entre collègues).

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Les lucioles s’envolent depuis les herbes mortes

Mercredi 11 juin

Reprise. Six heures de cours avec le masque.

Objectivement mauvaise, mais plaisante : la glace gratuite chopée en pleine opération marketing. J’avais oublié que la framboise pouvait être aussi (eXtrêmement) chimique.

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Jeudi 12 juin

Cette idée de newsletter danse classique me trottait dans la tête depuis trop longtemps, je m’y attelle. Cela rouvre du temps personnel au sein de cette fin d’année qui prend des airs de marathon à n’en finir pas — vraiment, excellente distraction pour me détourner des répétitions à venir et de l’anxiété qui va avec. Je suis obnubilée par tout autre chose, de gai, et retrouve l’enthousiasme d’écrire sur la danse comme aux débuts du blog, avant que les compte-rendus de spectacle, systématiques, ne deviennent répétitifs. Les premières adresses e-mails tombent en DM Insta.

Un tour au parc Barbieux ne suffit pas à me faire sortir de ma tête.

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Vendredi 13 juin

Pas certaine que cette histoire de newsletter soit très bonne pour l’addiction aux shoots de dopamine, mais une autrice que j’aime beaucoup s’y est abonnée !

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Samedi 14 juin

Dernier cours avant la semaine de répétition. L’enfant absente aux deux derniers cours sans justification des parents est revenue et, forcément, ne vit pas bien d’avoir été retirée du spectacle (sa famille n’étant pas du tout fiable, j’ai pris cette précaution pour éviter de me retrouver dans la situation de l’an passé que l’on m’a racontée : sans prévenir, elle n’est tout simplement pas venue au spectacle, mettant dans l’embarras ses camarades qui ont dû revoir leurs placements à la dernière minute). Elle plaide sa cause, dit m’avoir prévenue qu’elle serait absente pour une fête religieuse — ce dont je n’ai pas souvenir, mais que j’ai pu oublier au milieu de toutes les sollicitations (ça peut inclure deux samedis de suite, l’Aïd ?). Tandis que je lui rappelle qu’il faut dans tous les cas un message écrit de ses parents (elle a une trentaine d’absences non justifiées, ce qui serait largement suffisant pour déclencher un renvoi), me vient à l’esprit qu’ils ne savent peut-être pas lire et écrire ou pas lire et écrire français. J’ajoute à la hâte : ou par téléphone. Une parole écrite ou orale qui vienne d’une personne majeure ayant autorité. Reste ce doute : est-ce que je ne pénalise pas une élève à cause des manquements de sa famille ?

Les plus jeunes sont à fond, et l’on passe de probable cata à pas si mal, hé pour les plus âgées. Je serais d’humeur légère s’il n’y avait l’avant-bras scarifié de cette jeune adolescente qui devient mutique quand mon collègue et moi tentons de recueillir sa parole. Je lui propose d’écrire si c’est trop difficile à dire, et elle acquiesce, mais une fois pourvue d’une stylo et d’une feuille de papier, le mutisme contamine le geste. On dirait que ce n’est pas qu’elle ne veut pas, mais qu’elle ne peut pas. C’est trop gros pour elle, pour l’articuler, ça la dépasse. Et nous aussi. Il va falloir trouver de l’aide auprès de personnes formées pour. Je lui ai demandé de parler à un adulte, qui elle veut, pas forcément nous, mais un adulte en qui elle a confiance. J’espère qu’elle a (encore) confiance en un adulte.

…

Les prunes mûrissent et jaunissent

Lundi 16 juin

L. et S. ne seront pas là la semaine prochaine, c’est leur dernier cours. S. retourne en Italie au terme d’une année de césure pré-bac (chez eux, c’est avant) ; L. reviendra à la rentrée. C’est probablement l’élève qui a le plus progressé cette année. Elle était beaucoup plus fragile que les autres et a comblé l’essentiel du gap qui les séparaient. Elle me remercie, dit avoir vu la différence avec l’association où elle se trouvait jusqu’à l’an dernier : les corrections permettent de progresser et il était frustrant de ne pas en recevoir quand elle savait que ça n’allait pas.

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Mardi 17 juin

Je reprends le chemin de la fac pour assister à la soutenance de M. En descendant (ou plutôt en remontant) du métro à Fort de Mons, tout est en travaux, route déviée, chaussée explosée, arrêts de bus déplacés, parpaing et pavés podotactiles entreposés sur l’espace qui a été ou sera un rond-point : deux ans seulement et le passé est déjà sans dessus dessous.

Le parc à côté de l’université est déjà désert, probablement depuis un mois. De hautes herbes occupent la petite colline de gazon où nous pique-niquions. Je transforme mon avance en promenade.

Dans la salle où je me glisse à la fin de la soutenance précédente, beaucoup de visages connus, d’étudiants et de professeurs. Une visite de courtoisie ? Le directeur de mémoire de M. s’étonne de ma présence. Il ne se doute pas que je connais M., encore moins que nous sommes amies. Quoiqu’il n’en montre rien, je le sens buguer dans la juxtaposition de la prof de danse classique, bourgeoise, valide, hétéro que je suis, et de la jeune étudiante queer, tatouée et piercée de partout, des cheveux actuellement bleus et un maquillage (de scène presque) très pailleté comme armure, qui explique avec une voix TedX avoir connu la camisole chimique et travailler sur la figure du monstre en danse contemporaine. Le pouvoir (de la danse et) de la neuroatypie. Au cours de son exposé, bien droite sur sa chaise, M. se balance d’avant en arrière pour calmer son stress — un tic que je n’avais encore jamais remarqué et un point pour le soupçon de TSA. Une amie à elle, arrivée un peu en retard s’est assise par terre en tailleur et presse son pouce contre l’index, le majeur, l’annulaire, l’auriculaire, l’index, le majeur… tandis que, derrière moi, ça crochète pour rester concentrée. Il n’y a pas à dire, nous formons une belle assemblée de neuroatypiques, cela me fait sourire.

Le tour que prend l’entretien ne me réconcilie pas vraiment avec le monde universitaire : le formatage encore une fois prime sur la pensée déployée, dont on ne saura pas grand-chose hormis qu’elle ne s’est pas coulée dans le moule attendu de la discipline telle que la conçoivent les professeurs en poste. M. résiste vaillamment, j’admire son sang-froid, sa persévérance intellectuelle.

Après un pique-nique débrief où l’on m’envie d’avoir chopé la meilleure salade VG de la cafét’, direction la kiné, qui m’explose les cuisses à coups de squats et de fente. J’en ai pour trois jours ensuite à sortir mes quadriceps de la tétanie ; autant dire qu’assurer un mercredi de cours dans ces conditions fait plus de mal que de bien au genou.

Ne pas partir d’où je pars d’ordinaire rouvre du temps, de l’espace. Je longe le parc de la Citadelle jusqu’à l’arrêt de bus, me promènerais presque. Tous les deux cents mètres ou presque, quand ça me prend, quand l’exercice mental exige sa vérification physique, je m’arrête pour tester un bout d’exercice pour le soir même. La barre s’invente le long du canal dans l’herbe, où je jette pour quelques instants mon sac et mes affaires. L’arrêt de bus est en plein soleil.

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Mercredi 18 juin

L’appel du 18 juin

Après, avant l’effort, le réconfort : un sorbet banane-kiwi à midi. De part et d’autres, six heures de cours. Et des cadeaux ! Alors que je déballe une gourde isotherme ultra-légère décorée de fleurs à l’aquarelle, ma bienfaitrice observe que ma gourde était vraiment toute petite, trop petite. C’est adorablement bien vu (et généreux !). Je remercie sans expliquer que ma petite gourde de 33cl, contrairement à celles de plus grande contenance, passe sous le robinet de l’autre école de danse. Comme les fashionistas qui changent de sac d’un jour sur l’autre, j’aurai désormais une gourde-du-mercredi, c’est dit.

Au lieu de m’affaler sur la chaise rembourrée de l’entrée comme à mon habitude, je file au théâtre. Une heure et trente minutes pour placer et filer les deux danses de mes classes ainsi que celles de mon collègue de danse contemporaine, en formation. Ce n’est pas énorme, et il faut commencer par apaiser le scandale soulevé par l’annonce de ce que les chorégraphies se feront sur demi-pointes, et non sur pointes comme prévu.

Au filage de lundi, mes collègues plus expérimentés ont estimé que les élèves n’étaient pas prêtes et que le risque de glisser était trop important ; en tant que débutante, je ne peux que me ranger à leur avis, malgré la déception, la leur comme la mienne. Les élèves sont persuadées que la scène glissante n’est qu’une excuse, qu’on ne veut pas les voir sur pointes, « réservées » aux horaires aménagés. On les trouve trop nulles, voilà, j’obtiens exactement l’effet inverse de celui que j’avais escompté, la fierté d’avoir dansé, même imparfaitement, avec les pointes aux pieds. J’avais réglé les chorégraphies en fonction de cet impératif, avec des montées sur pointes qui tenaient davantage du transfert de poids que de l’équilibre pour les unes et des relevés et piétinés sur deux jambes pour les autres. Les pointes supprimées, les plus jeunes se retrouvent avec une danse bien en-dessous de leur niveau, qui n’a plus grand-chose de classique. Sans compter les élèves qui ont racheté une paire de pointes spécialement pour le spectacle… (On aime le mail d’explication-excuses aux parents à 23h.)

Même si je bute parfois sur les prénoms et laisse le micro manger ceux qui m’échappent, le placement se fait mieux qu’en février : j’ai très littéralement pris de la hauteur en me plaçant quelques rangées avant la régie. En revanche, les changements rapides de coulisse ne fonctionnent pas, les élèves n’entrent pas à temps sur scène. On fait plusieurs tentatives, en modifiant l’ordre ou la composition des groupes, mais le problème ne fait que se déplacer. Dans le désordre, je ne remarque pas de suite qu’il y a un trou : qui est là, normalement ? C’est M., me répondent les enfants. Sur le moment, j’oublie ses avant-bras scarifiés, je l’imagine partie aux toilettes. De fait, elle est bien partie aux toilettes, mais pas pour y faire ce qu’on y fait. Elle pleure, me rapporte-t-on quelques minutes avant la fin. Il n’y a plus le temps, je dois libérer le plateau et les techniciens, la répétition se termine en eau de boudin. J’abandonne irrésolu mon gros couac chorégraphique pour retrouver l’élève partie en pleurant. Mutique, plusieurs mètres devant la surveillante, elle disparaît déjà dans la voiture de ses parents.

Cafouillage sur scène, élève partie en pleurant… j’ai très envie de faire de même, attends juste d’être chez moi. Cette impression de faire de la merde…

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Jeudi 19 juin

L’appréhension de la journée me fait anticiper le réveil : 6h30, alors que je suis rentrée à près de 22h la veille et que m’attend une longue journée (dernier cours à 21h30). Je suis habituée à cet enchaînement tard-tôt du mardi au mercredi, mais rempiler du mercredi au jeudi est une autre affaire.

Je n’ai jamais réglé les lumières pour un spectacle et on m’a laissée seule pour le rendez-vous. Heureusement l’ingé est adorable et pallie mon inexpérience (« Alors ça, ça va être moche, ça ne va pas rendre comme tu veux, en revanche, je peux te proposer ça… »). Je l’observe manipuler la table de montage et les lumières se matérialiser à travers la brume répandue sur scène à cet effet. L’espace se sculpte et les atmosphères se définissent lentement : non seulement c’est le matin pour nous deux, lui avec son café, moi sans, mais le travail s’apparente à du montage vidéo. C’est précis mais un peu laborieux, il faut sans cesse rejouer la séquence, ajuster, enregistrer et nommer l’effet, s’assurer que la machine a enregistré la séquence, rejouer, ajuster les temps de transition… A ma surprise, les effets lumineux ne sont pas liés à la piste audio ; je pensais naïvement qu’ils étaient rattachés à un minutage et qu’en lançant la musique tout s’enchainait. C’est techniquement possible, apprends-je, mais pas ce qu’on privilégie, car encore plus chronophage. Il faudra lancer les effets manuellement, à l’oreille.

Il est 11h, le filage auquel je ne pourrai pas assister commence à 18h30. Plutôt que d’ajouter une heure de métro à ma journée pour rentrer chez moi, je reste assister au spectacle jeune public. Mon modeste rôle consiste à mettre en marche au début du spectacle la caméra… qui montre rapidement des signes de faiblesse. Mon collègue peste contre son TDA (maintenant qu’il le dit…). Les élèves de troisième cycle, dont certains intégreront des écoles supérieures à la rentrée, sont incroyables.

J’accueille mes élèves puis pars sous près de 30°. Retrouver des apprenants adultes me fait du bien après avoir pataugé avec les enfants. C’est le dernier cours pour M. et A. qui me remercient : mes cours leur ont permis de désacraliser une discipline qu’elles pensaient inabordable ; et m’encouragent : « Surtout, ne change rien. »

Fatigue niveau vertiges.

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Vendredi 20 juin

Matinée de repos avant le premier spectacle. J’arrive très en avance pour les miens, un peu en retard pour assister au spectacle des petits de l’après-midi. Je le prends en cours de route, à temps pour assister au travail de mon collègue du samedi avec les tout-petits d’éveil-initiation. Il a réussi à chorégraphier une pièce qui ait une véritable identité artistique et ne confine pas les enfants à quelques gestes très statiques : je suis admirative. Je mesure aussi à quel point les lumières participent à donner cet effet de pièce aboutie ; chaudes et sombres, elles sculptent l’espace, deviennent décor.

Attente puis agitation. Je recouds l’entrejambe d’une salopette, le revers au pied d’une autre, quatre points rouges et d’autres plus désordonnés pour raccourcir les bretelles d’un justaucorps. Vous cousez bien, madame — un justaucorps noir cousu de fil rose… je rafistole. Une fois l’échauffement passé, que j’observe dans une semi-culpabilité d’inefficacité, la plupart des professeurs disparaissent en coulisses ou à la régie. Je reste avec les élèves dans les grands espaces qui servent de loge, aide à accrocher les rubans, à faire disparaître des bretelles en les rassemblant avec des anneaux de porte-clés, collectés chez qui avait (je me retrouve avec un anneau beaucoup plus plat et serré sur lequel je ne parviens plus à faire glisser mes clés à la fin du week-end).

Les professeurs hommes ne restent pas dans ces espaces où les filles se changent, ça fait sens, mais n’explique pas totalement la répartition genrée de certaines tâches que j’ai pu observer ces derniers jours : il n’y a que les femmes qui manient l’aiguille. Il semble aller de soi qu’indépendamment de toute expertise couture, nous savons faire quelques points – n’avons-nous pas cousu nos rubans de pointes ?

Le spectacle a commencé. J’oublie, n’avais pas compris que c’était à moi de donner les top à la régie, je croyais qu’ils avaient les repères et de fait, ils les ont, puisqu’ils rattrapent le coup. Les séquences vues et revues ces derniers jours s’enchaînent. Quelques gadins quatre fers en l’air chez les horaires aménagés (les enfants les plus rodés) confirment que la scène est glissante et font passer l’amertume de mes élèves privées de pointe ; peut-être, après tout, que c’était un peu dangereux. Moi aussi je manque de me vautrer en montant saluer à la toute fin, même sans glisser ; la scène est surélevée et je calcule mal sa découpe, des avancées ayant été ménagées sur la moitié des rues seulement. Gauche jusqu’au bout.

Le plaisir de la scène l’a emporté, il y a des paillettes sur les visages et dans les regards — des élèves mais aussi des parents qui, les yeux rivés sur leur huitième merveille du monde, n’ont rien vu autour de la désynchronisation générale. Quand une mère d’élève s’exclame que la chorégraphie était originale, je réponds mécaniquement :
— C’est déjà ça.
— Mais pourquoi vous dites ça ?
Mais oui, pourquoi ? Je bredouille, la fatigue, mon cerveau a fondu. On me raccompagne en voiture, j’en profite.

09072025

Guillaume CINGAL
, 09/07/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

Hier soir, c’est le comble, on n’arrivait pas à s’endormir. Il faut dire qu’on avait fait une bonne sieste, presque en milieu d’après-midi : 40 minutes pour moi, une heure pour Claire. Ce n’est pas une petite promenade dans le quartier – avec blouson car le temps n’est pas encore reparti à la chaleur – qui aura suffi à nous fatiguer.