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Jérôme Orsoni
, 05/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Le mauvais est intolérable. Me suis-je dit en feuilletant ce livre qui, en d’ineptes vers prétendument libres, faisait l’apologie de l’une de ces nombreuses idées à la mode dont on nous rebat sans arrêt les oreilles. Le mauvais, ce n’était pas l’idée qui l’était — à vrai dire, celles dont on nous vante les mérites dans l’espace public se valent à peu près toutes ; du point de vue de la nullité, le relativisme est aussi une vérité triviale —, mais ces petits morceaux de phrases sans chair, sans vie, qui pendouillaient là, retenus maladroitement aux pages du livre par d’improbables entêtements, catastrophes miniatures d’une époque qui n’a rien à dire, d’une civilisation qui passe à côté de l’existence sans même l’apercevoir, et se complaît dans sa misère morale. Le mauvais est intolérable, dis-je, et, en effet, il humilie, il salit. Tout d’abord, les moyens mêmes que l’objet met en œuvre pour se faire (la langue, la mesure, la musique). Et puis qui, tombant dessus par choix ou par malheur, se voit rabaissé par là même au rang d’une vulgaire chose de peu prix, à laquelle on n’attache pas la moindre importance puisque c’est tout ce qu’on a jugé digne d’elle. Le mauvais dégrade, il insulte, il avilit. Il n’est pas simplement une erreur, un échec — pour paraphraser l’adage socratique, on ne fait pas le mauvais volontairement —, il forme une tache morale, il rabaisse, il ridicule, soi et le monde qui va avec. L’image que donne le mauvais est celle d’un monde où l’on peut tout se permettre, où rien ne mérite qu’on fasse des efforts, où tout ce qui est recherché (au sens noble du terme) est discrédité a priori parce que ce serait snob, élitiste, prétentieux, exigent, difficile, inaccessible. Peut-être que ce qui est beau et important est difficilement accessible, peut-être qu’il comporte toujours une part d’arrogance, d’orgueil, de prétention à la supériorité absolue. Et alors ? Faut-il se condamner à être comme tout le monde, penser comme tout le monde, faire comme tout le monde ? Au prétexte de quoi ?  Par commisération ? Contrairement à ce que tout le monde cherche à nous faire accroire (quel que soit le bord politique dont on se revendique), le consentement à la bassesse ne sauvera jamais personne, il ne fait que nous entraîner par le fond. Le mauvais est certes égalitaire, mais par nullité : il nous rend tous égaux au néant. C’est cela, d’autant plus dans une république, le vice ultime du mauvais : il singe l’égalité, la tourne en dérision, ment sur sa nature, promet que les lendemains qui chantent sont œuvre facile, incite à la veulerie au nom d’une douceur qu’il offense. Or, c’est tout le contraire qu’il faut prêcher : la douleur, la violence, la discipline, le flanc le plus escarpé de la vie. Car, seul le sommet est égalitaire. Et seul est juste le sublime.

05072025 (L'accident de piano)

Guillaume CINGAL
, 05/07/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

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Le nouveau film de Quentin Dupieux, L’accident de piano, vanté ici et là comme « très différent » des autres, et comme particulièrement bon (à croire donc que les critiques qui écrivent cela n’aiment pas les autres films de Dupieux, et c’est un avis tout à fait imaginable/respectable), est décevant. Tout d’abord, il n’est pas si différent que cela des autres films de Dupieux, mais il est plus lent, moins nerveux, et, globalement, plus poussif. L’intérêt du spectateur s’émousse franchement en milieu de deuxième partie, pendant l’interview dans le gymnase ; or, il reste une bonne demi-heure, et toute la scène des meurtres en série à l’hôtel, qu’on voit venir comme le nez au milieu de la figure et qui n’est pas très bien filmée, qui pis est.

Adèle Exarchopoulos est excellente, mais on ne peut pas bâtir un film sur le seul jeu d’une excellente actrice.

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Le vrai problème est sans doute que Dupieux – et ça, c’est effectivement très nouveau – a construit son film autour d’une idée, et que les idées, ça n’est pas son fort : cela se termine donc sur une démonstration assez réactionnaire sur la vacuité des médias sociaux, ou plutôt des influenceurs/euses, et sur la bêtise absolue des « fans » incapables de voir le mal et l’immoralité sous ce qui les divertit. Pascalien, si on veut, mais enfin, très boomer, surtout... Cela m’a fait penser à Incroyable mais vrai, dont l’intérêt s’effiloche au bout d’une demi-heure, et à je ne sais plus quel film américain dont je n’arrive à me rappeler ni le titre ni le réalisateur, et qui, de semblable façon, s’achève dans un bain de sang dénonçant la vacuité des relations sociales dans un monde ultralibéral individualiste.

 

Dupieux sait construire (ou plutôt, déconstruire) une histoire, Dupieux sait être drôle (dans la veine loufoque ou nonsensical), mais ce n’est pas un penseur. Ses meilleurs films de ces dernières années sont donc Mandibules et Daaaaaali, car ils sont vraiment drôles, et Le daim, dont on pourrait pourtant rapprocher L'accident de piano (paysages savoyards et pulsions criminelles) mais que sauve le refus de toute fabrication intellectuelle rapiécée.

 

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Jérôme Orsoni
, 04/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Matraquage. De la musique du voisin, je n’ai que des échos en forme de coups de fusil étouffés. Comment peut-on se soumettre volontairement à un traitement si inhumain ? Je n’ai pas la réponse à la question. Il y a toujours quelque chose qui nous est étranger, c’est vrai, et ce n’est pas forcément le plus lointain (en distance ou en intimité présumée), mais cette étrangeté, on peut lutter contre elle, l’accepter à bras ouverts, certes, ou bien tenter de comprendre ce qu’elle signifie, ce qu’elle indique de la façon dont nous concevons l’état du monde à un moment donné, et la façon dont nous nous relions à ce monde (ou ne parvenons pas à nous y relier, ne désirons pas entrer en relation avec lui, et caetera). On peut certes s’en tirer à bon compte à la faveur d’une espèce de subjectivisme relativiste (de gustibus, et caetera), mais je crois précisément le contraire, je croire que ce qu’il y a de plus intéressant, ce sont les discussions qui portent sur les goûts, les différences entre ces goûts, leurs ressemblances, leurs points communs, les rapprochements inattendus qu’on peut opérer entre eux. Ce n’est pas notre époque qui a inventé cette idée (est-ce vraiment une idée ?) mais, dans son acception commune, elle lui va comme un gant. Chacun se tenant dans le repli de l’horizon que limitent ses intérêts  égoïstes et ses origines personnelles, la conversation n’est pas seulement inutile, elles est devenue impossible. Et, très vite, ce ne sont plus les goûts qui s’opposent les uns aux autres dans une incommunicabilité radicale, ce sont les vies mêmes, et la violence vient araser toutes les différences, les réduire au silence. L’impossibilité de la conversation, c’est le terme logique du subjectivisme relativiste qui est la philosophie de non-vie de l’individu libéral : tout est centré sur un soi largement fictif dont on ne comprend même plus comment il peut se rattacher, se relier avec autre chose que lui-même. L’horizon du devenir, pour l’individu libéral, c’est le célibat ontologique de la monade inculte. On porte son histoire comme le plus lourd des fardeaux, chaque événement étant l’occasion d’exprimer en une longue et déchirante plainte l’étendue du désastre qu’est sa propre histoire. Or, si l’histoire des peuples ressemble effectivement à s’y méprendre à l’histoire des catastrophes auxquelles donnent lieu la vie des peuples sous l’emprise de leurs despotes, les vies individuelles sont riches de possibilités insoupçonnées : chaque déplacement, chaque rupture, chaque diaspora peut être l’occasion de créer quelque chose de neuf, d’approfondir une forme de vie, de l’étoffer, de la déployer. C’est sans doute une utopie, mais la Méditerranée, en tant qu’espace qui se déploie sur le pourtour d’un centre liquide et vide par excellence est un lieu propice à l’épanouissement de sensibilités de ce genre. Évidemment, je n’ignore ni la part de construction que la notion même de Méditerranée comme concept unitaire englobe ni les drames qui, aujourd’hui comme hier, traversent la Méditerranée, mais dans sa nature de fiction même (dont l’origine seraient les navigations d’Ulysse), elle ouvre à quelque chose dont notre époque a prestement besoin. Tout déplacement se fait au prix de pertes et de nostalgies qui l’accompagne. On peut les maudire et se lamenter de tout ce que nous avons perdu (la langue, la terre natale, le pays des ancêtres), ou bien l’on peut chérir ces mouvements du cœur comme les formes d’une sensibilité non pas close sur elle-même (ma langue, mon peuple, ma culture, ma race, et caetera, ou le nous ne s’exprime jamais que par revanche, exclusion, rejet d’eux, les autres, qui nous veulent du mal et, parce qu’ils nous haïssent, nous ont privé de notre langue, notre culture, et caetera), mais qui nous emporte un peu plus loin dans une dispersion qui est toujours en même temps perte et découverte : ce que nous avons perdu ne nous entraîne pas à la découverte de lui-même (du ce que nous avons perdu), mais de l’inconnu (de ce que nous n’avons jamais eu), où s’offrent alors d’innombrables possibilités d’invention. « Se pencher sur l’histoire de la Méditerranée, écrit David Abulafia dans La grande mer. Une histoire de la Méditerranée et des Méditerranéens, revient en définitive à contempler une symbiose entre l’homme et la nature qui est peut-être sur le point de s’achever. »

04072025

Guillaume CINGAL
, 04/07/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

« Et ces paroles censées nous viennent de Dieu lui-même. » Ni le traducteur ni les relecteurs de chez Grasset ni la réédition Folio n’ont empêché cette bourdasse.

Rappel :

a) Si on peut remplacer par « supposé » > censé avec un C

b) Si on peut remplacer par « raisonnable » > sensé avec un S

 

Pertuis/ 4/ 5 /6

Laura-Solange
, 04/07/2025 | Source : JARDIN D'OMBRES

Voici les 3 photos de tableaux de Anselm Kiefer qui ont déclenché un texte en écho dans Pertuis 4 / 5 / 6

 


                            Photo prise lors d'une exposition à Pantin en 2018

 

 
 Photo prise lors d'une exposition au couvent de la Tourette en 2019
 
 
 
Photo prise au musée Rodin à Paris en 2017 

 




 

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Jérôme Orsoni
, 03/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Le mois dernier, je crois que j’ai commencé le deuxième, sans vraiment m’en apercevoir tout d’abord, simplement en écrivant dans un carnet une sorte de vision que j’avais eue la veille avant de m’endormir, et ce matin, j’ai fini le premier petit chantier. En ce qui concerne la partie texte, du moins. Car, dans l’idée que je me suis faite du projet, je ne sais pas très bien pourquoi, j’ai imaginé que chaque exemplaire de ce petit chantier devait contenir deux dessins originaux, non des reproductions, dessiné de ma main au verso de telle ou telle page, ce qui n’est pas sans poser de problèmes puisque je ne sais pas dessiner. Mais ce n’est peut-être pas un problème, en vérité, de ne pas savoir dessiner, ce qui compte, dans l’idée que donc je me suis faite du projet, c’est de tout faire moi-même et jouir ainsi d’une liberté maximale de faire ce que je veux faire sans que cela ne m’oblige à garder le secret, à me tenir à l’écart, en écrivant pour une hypothétique, lointaine, et peut-être absurde, postérité. Est-ce si important de tout faire soi-même ? Je le crois, oui. Il arrive toujours un moment, quand on ne fait pas tout tout seul, où il faut faire des compromis. Et ces compromis, qui sont absolument inévitables et probablement nécessaires dans la vie sociale ordinaire, font aussi peser des contraintes nuisibles quand on essaie de faire quelque chose, de creuser son propre sillon, d’aller au bout de sa pensée, de tout penser par soi-même (ce qui ne signifie pas « penser tout seul »). Il faut se libérer d’un maximum de contraintes pour tenter quelque chose qui se soldera peut-être par un échec, mais qui aura le mérite d’exister. Car, exister, quand on écrit, c’est d’une importance capitale. Cela peut paraître trivial ou étrange de dire les choses ainsi, parce qu’on a l’impression que cela va de soi, qu’il suffit de publier un livre pour exister, ou je ne sais quoi mais, à mon sens, ce n’est pas si simple que cela. Exister, c’est-à-dire : être intégralement l’écriture que l’on est. Dans l’article qu’Alain Nicolas a consacré à ma Vie sociale dans l’Humanité de la semaine dernière, il était question de sortir des sentiers battus — ce que j’appellerai volontiers : prendre le maquis de la littérature —, et c’est tout autant une question de forme que de programme. Bien souvent, même les romans qui semblent avoir une forme originale obéissent à un programme politique qui les précède, ce sont des arguments en faveur d’un projet politique : ils sont incapables de penser à fond le cosmos. Quant à la forme en ce qui me concerne, je consens au roman (à appeler un de mes textes « roman ») parce que c’est le seul moyen d’exister tout en m’efforçant de me tenir le plus loin possible de ce que l’on attend généralement de la forme roman. On voit donc qu’il y a toujours déjà une concession, qui est une forme de sacrifice auquel il ne faut pas toujours se rendre. Petit chantier aurait tout aussi bien s’appeler Maquis, mais c’est seulement maintenant que j’y pense : le maquis est un type de végétation méditerranéenne où l’on trouve refuge pour vivre dans la clandestinité et échapper ainsi à la loi, à l’ennemi, à la mort. C’est une métaphore, certes, mais qui a un sens bien plus littéral qu’on ne le suppose de prime abord. Et tout est d’une cohérence vertigineuse, ne crois-tu pas ?

Acquérir un artiste

JS
, 03/07/2025 | Source :

2 juillet 2025

Quelque part, un mécène souligne, en forme de préambule, d'éthique, qu'il "faut passer par une galerie", cela dans le but "d'acquérir un artiste". C'est très bien, moi je veux bien faire l'objet d'une acquisition, en vue d'être payé pour écrire mes prochains livres. D'ailleurs, c'est ce que je faisais avec Tipeee, la plateforme de soutien mensuel, ce qui me permettait de payer les serveurs web que j'utilise et une partie de mon budget sauvegarde. J'avais quelques mécènes. Ce qui me fait penser que depuis que je suis passé au système du bouton de soutien inclus dans mon site, ça ne marche plus du tout. Je n'ai pas bien communiqué sur le suivi. Ou alors des gens se sont aperçus qu'ils payaient chaque mois sans le savoir, je ne sais pas. Sur la nouvelle page, on ne voit pas combien il y a de soutien, ça casse l'effet de participation à quelque chose. Il faudrait que j'affiche des chiffres, des statistiques. Et l'aspect contrepartie aussi, je pourrais renouveler, proposer quelque chose, une infolettre, ça je peux faire. Autre chose, proposer un produit, à la vente, repartir un peu sur l'idée des Nuits, mais autrement : sur chaque page du Journal éclaté, un bouton de commande lié à ce texte particulier, à cette journée choisie, et j'envoie non pas le texte du site imprimé ou écrit à la main, mais une carte postale, en écho à ce choix précis. En attendant, tout le monde peut froisser la page (voir sur le côté (ou dessous, sur mobile)).

03072025

Guillaume CINGAL
, 03/07/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

Je viens de consulter, par pur hasard, la liste des « 100 meilleurs guitaristes de tous les temps » compulsée je ne sais quand par le magazine Rolling Stone. On est d’accord qu’a priori ces palmarès n’ont aucun sens. Il y a six musiciens noirs dans les 50 premiers, pas une femme, et si on décidait de supprimer l’Amérique du Nord et l’Angleterre, il ne resterait personne dans ce classement. Finalement ce classement a un sens : il pointe le racisme et le sexisme structurels du milieu culturel « occidental ».

Racisme, il n’y a pas d’autre mot. Quand on met dans les dix premiers plusieurs guitaristes blancs qui ne seraient RIEN sans le 44e (Bo Diddley) ou le 39e (Muddy Waters), c’est du racisme.

Pour la peine, voici un enregistrement assez méconnu de l’immense Odetta. C’est une balade irlandaise. (Et j’ai aussi découvert, en écrivant ce billet, qu’Odetta avait enregistré au début des années 70 un album de reprises de Bob Dylan dont il me peine de dire qu’elles sont bien meilleures que les originaux.)

 

02/07/2025

Je sors du camping. Je passe par la forêt de pins parce qu’il pleuviote. On dirait que même l’eau de pluie est salée. Le cabanon rose sur la plage où je bois mon café frappé à 16 heures est fermé. Il fait pas assez beau aujourd’hui, trop froid. Personne sur la plage. Je retourne au centre. Coca en terrasse. Je finis le livre de Crépu, toujours incertain de notre lien familial. Quand il parle de la dureté des Piou, la famille du côté de sa mère, je repense à ma grand-mère Jeanne, Guilbert, née Piou, et à la violence de certains de ses mots envers telle ou telle personne. Envers son fils. Jamais envers moi — elle m’avait à la bonne, dit mon père. Peut-être cousin éloigné, Crépu. Piou, qu’un nom. Qu’importe. Je finis. Je reprends. Je lis le livre de Le Dantec. J’appelle ma mère. Comment elle s’appelait la directrice de son école primaire ? C’est elle, c’est pas elle, je sais pas. Mais c’est la Capelette. C’est Auriol. C’est les bouchers. C’est la guerre. C’est les maisons ouvrières derrière la Timone. C’est les morts et les vivants.


Et le reste de ces vies est en nous. (Pour le livre, concernant Mamée : le reste de sa vie est en nous.) El-baqaya fi-Hayatak.


Musique dans mes oreilles. Impossible de ne pas pleurer en entendant la respiration du clarinettiste, haletante, entre deux variations mélodiques, bien obligé de reprendre, de reprendre de l’air, tellement beau. J’attends. Je regarde le ciel toujours partiellement nuageux. La marée haute, à ma droite. Les rayons de soleil au fond de l’horizon qui créent une bande blanche. La pluie qui vient. On s’appelle avec Guillermo. Il est rentré à Toulouse. Il a repris son train de vie. Il dit que N. a acheté le dernier Trou noir ; il plaisante à ce sujet, en prévoyant sa réaction à la lecture de mon texte. J’avais presque oublié l’existence de N., à force ; enfin, pas véritablement son existence, mais la manière dont il pourrait intervenir ou non dans ma vie — et le fait qu’il n’intervienne plus du tout, même par procuration, en essayant d’altérer ma relation avec Guillermo, par exemple, comme il a pu le faire par le passé, essayer de le faire. Qu’il lise, qu’importe. Je n’y pensais même pas au moment de l’écriture. Parfois, quand je lui parle de couples qui vont mal, autour de moi, il dit que ça le fait relativiser sur sa relation avec N. Souvent, il n’y a aucun lien entre les situations dont je parle et la sienne. Ce que je souligne. Ma mère me rappelle. Me dit qu’Andrée Le Dantec était bel et bien une amie de Mamée. La mère de Bruno, donc, l’auteur du livre que je suis en train de lire. Et sa cousine, la fille de la directrice, un truc comme ça. J’attends. Je pense à Dore. Je lui envoie une photo. Hier, j’ai appelé No, deux heures. Elle avance. Rendez-vous endocrinologue mi-juillet. Je lui ai dit, pour plaisanter : tu voudras qu’on t’accompagne au rendez-vous ? Comme deux papas pédés ? Hier, aussi, en attendant mon petit frère pour qu’on aille se baigner, je fais une playlist avec mes écoutes plus ou moins récentes, playlist que j’appelle culecanicule, et cette fois, pour la première fois, je ne la réserve pas à Dore, mais je l’envoie aussi à Guillermo, parce que je sais qu’il a une heure de bus pour aller voir ses grands-parents en Ariège — mais je sais qu’elle plaira surtout à Dore, avec qui les goûts musicaux sont davantage partagés. Mais Guillermo est le seul avec qui je peux parler de bulería. Hier ? Ou le jour d’avant. J’ai tendance à confondre, ici. Boire un café frappé au cabanon sur la plage, sauter dans les vagues, quarante-cinq minutes plus tard que la veille (suivant le rythme des marées, celui de la lune), me balader, fumer une cigarette, etc., etc. En attendant, je pense à tout le monde, pas en même temps, mais par vagues, à mes amours et à mes amis, qui me manquent, et qu’il me tarde déjà de retrouver, à Marseille ou à Paris.


en bras de chemise légère / dans ses yeux, tous nos mystères / de Marseille à Paris

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Jérôme Orsoni
, 02/07/2025 | Source : cahiers fantômes

Il se passe beaucoup trop de choses. Et, si l’on se donnait les moyens statistiques d’analyser la réalité telle qu’on nous la présente, on s’apercevrait que, chaque jour, non seulement il se passe quelque chose de plus, mais qu’il se passe plus de choses encore que la veille. Et ainsi de suite. Cette inflation événementielle, il n’est peut-être pas absurde de dire qu’elle est un effet et non une cause. Autrement dit, plus la réalité de la réalité nous échappe et plus, pour donner le change, nous fabriquons des événements. Événements qui ne sont pas irréels, non, de la même manière que, d’une certaine manière, il suffit de croire en un dieu pour que ce dieu existe, mais qui sont en grande partie fabriqués de toutes pièces et ne reposent sur rien, que l’air que nous brassons dans l’espoir de prouver, de nous prouver, que nous ne sommes pas des effets, que nous sommes des causes. Perdues, sans aucun doute. Pour le reste, c’est à voir. Car, si l’on aborde le phénomène à l’envers, on voit bien comment il faudrait s’y prendre pour mettre en œuvre une réelle politique de déflation événementielle : il faudrait commencer par concéder que la plus grande partie de nos actions sont inutiles et que, certes, pour peu que l’on soit roué, elles font du bruit, mais que ce dernier ne diffère pas réellement de quelque flatulence ontologique. Flatus culi, comme dirait tout nominaliste quelque peu sérieux. Partout où il faudrait faire moins, on fait plus. Comment s’étonner, dès lors, que nos actions échouent, que, nous imaginant vouloir le meilleur, ce soit toujours le pire que nous fassions ? En écho à la question que je me posais il y a quelques jours de cela (le 27625, pour être précis), laquelle, sous de fausses apparences anodines, met le doigt sur le problème. Nous sommes la civilisation du trop, de l’excès, de l’abus, et il n’est pas possible qu’une telle civilisation ne s’achève pas par un désastre aussi grand qu’elle. Tout réclame un changement de civilisation dont, manifestement, malheureusement, nous sommes incapables. Car, qui cultive le silence ? Dans dix jours, nous partons pour la Bretagne (Saint-Quay-Portrieux). J’ai hâte de quitter Paris.