Le mauvais est intolérable. Me suis-je dit en feuilletant ce livre qui, en d’ineptes vers prétendument libres, faisait l’apologie de l’une de ces nombreuses idées à la mode dont on nous rebat sans arrêt les oreilles. Le mauvais, ce n’était pas l’idée qui l’était — à vrai dire, celles dont on nous vante les mérites dans l’espace public se valent à peu près toutes ; du point de vue de la nullité, le relativisme est aussi une vérité triviale —, mais ces petits morceaux de phrases sans chair, sans vie, qui pendouillaient là, retenus maladroitement aux pages du livre par d’improbables entêtements, catastrophes miniatures d’une époque qui n’a rien à dire, d’une civilisation qui passe à côté de l’existence sans même l’apercevoir, et se complaît dans sa misère morale. Le mauvais est intolérable, dis-je, et, en effet, il humilie, il salit. Tout d’abord, les moyens mêmes que l’objet met en œuvre pour se faire (la langue, la mesure, la musique). Et puis qui, tombant dessus par choix ou par malheur, se voit rabaissé par là même au rang d’une vulgaire chose de peu prix, à laquelle on n’attache pas la moindre importance puisque c’est tout ce qu’on a jugé digne d’elle. Le mauvais dégrade, il insulte, il avilit. Il n’est pas simplement une erreur, un échec — pour paraphraser l’adage socratique, on ne fait pas le mauvais volontairement —, il forme une tache morale, il rabaisse, il ridicule, soi et le monde qui va avec. L’image que donne le mauvais est celle d’un monde où l’on peut tout se permettre, où rien ne mérite qu’on fasse des efforts, où tout ce qui est recherché (au sens noble du terme) est discrédité a priori parce que ce serait snob, élitiste, prétentieux, exigent, difficile, inaccessible. Peut-être que ce qui est beau et important est difficilement accessible, peut-être qu’il comporte toujours une part d’arrogance, d’orgueil, de prétention à la supériorité absolue. Et alors ? Faut-il se condamner à être comme tout le monde, penser comme tout le monde, faire comme tout le monde ? Au prétexte de quoi ? Par commisération ? Contrairement à ce que tout le monde cherche à nous faire accroire (quel que soit le bord politique dont on se revendique), le consentement à la bassesse ne sauvera jamais personne, il ne fait que nous entraîner par le fond. Le mauvais est certes égalitaire, mais par nullité : il nous rend tous égaux au néant. C’est cela, d’autant plus dans une république, le vice ultime du mauvais : il singe l’égalité, la tourne en dérision, ment sur sa nature, promet que les lendemains qui chantent sont œuvre facile, incite à la veulerie au nom d’une douceur qu’il offense. Or, c’est tout le contraire qu’il faut prêcher : la douleur, la violence, la discipline, le flanc le plus escarpé de la vie. Car, seul le sommet est égalitaire. Et seul est juste le sublime.
