171225

Jérôme Orsoni
, 17/12/2025 | Source : cahiers fantômes

Se méfier. De mes excentricités, qui peuvent paraître amusantes — Comme c’est original ! a-t-on envie de s’exclamer —, c’est vrai, mais dangereuses, aussi, courant le risque à l’intérieur d’elles de m’enfermer, de me rendre prisonnier, sinon d’une image, d’une manière fausse de me comporter, de me penser, de m’être. À la fin, on devient son propre singe, et c’est ridicule. Paradoxalement peut-être, j’ai la chance de n’avoir pas de succès, de n’être pas connu, aussi n’ai-je pas à me caricaturer, me parodier pour correspondre à une idée que l’on se serait faite de moi, répondre à des attentes que mon existence passée aurait suscitées. Rien de tout cela dans le quasi anonymat qui est le mien. Et je vois bien ce que j’eusse pu facilement devenir, ayant ce penchant à cabotiner comme les bons acteurs qui ont des impôts à payer. Alors oui, il m’arrive de cabotiner, mais c’est par malheur, dans une sorte de détresse, à la tombée de certaines nuits dont je me dis que je ne vais pas les passer, que je n’y survivrai pas. L’étoile du matin, que j’appelle plus prosaïquement Nelly, me trouve profondément endormi quand il est l’heure de sortir du lit, la tête enfoncée dans l’oreiller, la respiration profonde, comme le sommeil. Ce matin, quand l’étoile est apparue dans mon ciel, j’étais à des années-lumière d’ici, dans une grande salle où de nombreuses personnes étaient présentes, une cérémonie de la SGDL, je crois, quelqu’un était en train de faire un discours — je ne le voyais pas, mon siège n’étant pas disposé tout à fait comme les autres, je faisais face, de trois quarts, à l’auditoire — et, au moment de prononcer son nom, l’orateur insistait sur Rachida Dati, comme quand on veut par là faire entendre aux auditeurs qu’il faut applaudir la personne à l’instant nommée, mais personne n’applaudissait, ou bien trop timidement, alors l’orateur reprenait et insistait, mais l’auditoire semblait ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre que c’était le moment d’applaudir, et moi, qui avais compris, et qui voulais passer à autre chose (je trouvais le temps long), je me mettais en tête de faire la claque, sauf que, comme souvent dans les rêves, mes mouvements n’étaient pas naturels, et je voyais bien que mes gestes n’étaient pas normaux, comme si je me trouvais empêché d’applaudir des deux mains, ainsi que je l’aurais voulu, faussement, mais peu importait. C’est à ce moment-là que Nelly m’a réveillé. Je me suis tiré de ce rêve peu stimulant avec la plus grande des difficultés. Et, quand je l’ai raconté à Nelly, ce rêve, elle m’a dit que, pendant plusieurs minutes, je n’avais tout d’abord pas réagi à son réveil, m’entêtant à dormir de mon profond sommeil. Que se serait-il passé si j’avais continué de dormir ? Peut-être, ne me souvenant pas de mon rêve qui aurait duré, rien. Je ne sais pas. J’ai déjà exprimé la forme de déception que je ressens souvent au souvenir de mes rêves, comme s’ils n’étaient pas à la hauteur de mes attentes, mais il faut croire que c’est ainsi que je suis — profondément —, pas très intéressant.

17122025 (la gaze et la flaque)

Guillaume CINGAL
, 17/12/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

Un an et un jour après avoir découvert l’emploi prépositionnel de absent – dans une page du livre d’Ekow Eshun, The Strangers – je l’ai retrouvé ce matin dans une page du livre formidable de Jamaica Kincaid que je finis de lire, Mr Potter. Et le lendemain de mon dernier cours consacré aux écritures féminines de la Caraïbe, au cours duquel j’ai noté au tableau la différence entre les noms poodle et puddle, je trouve le mot puddle dans ce même livre de Kincaid, alors que je pense ne pas avoir lu – ou entendu – le mot puddle depuis une éternité.

Hier aussi, j’ai vérifié pendant le cours la prononciation de gauze et me suis aperçu que je ne prononçais ce mot ni selon la norme britannique ni selon la norme américaine, et donc très probablement que je le prononçais mal, ce qui fort heureusement n’est pas très grave car avais-je vraiment eu besoin du mot gauze en cours ou dans une situation professionnelle avant ? Comme me l’a dit facétieusement une des étudiantes quand je leur ai dit que j’avais bien fait de vérifier et quand je leur ai fait entendre la prononciation britannique puis la prononciation américaine : « et la prononciation caribéenne, Monsieur ? »

 

161225

Jérôme Orsoni
, 16/12/2025 | Source : cahiers fantômes

Ce matin, quand j’ai vu ______ sur son vélo, je me suis dit : Il a pris un coup de vieux, ______. Et tout de suite après : Moi aussi, j’ai dû prendre un coup de vieux. Sauf que je ne me vois pas comme je vois ______ quand je me dis qu’il a pris un coup de vieux, ______, pour cela, il faudrait que ______ soit à ma place et moi à la sienne ou alors l’inverse. Je ne savais pas que ______ faisait du vélo. Mais peut-être que ce n’était pas ______. Quand j’ai croisé ______, ai-je eu ou n’ai-je pas eu l’impression que ______ me reconnaissait et qu’il se disait : Il a pris un coup de vieux, Jérôme, non ? Il aurait pu s’arrêter, je ne dis pas qu’il aurait pu descendre de son vélo, ______, non, mais il aurait au moins pu s’arrêter, et me dire un mot, ______, moi je n’allais tout de même pas lui courir après. Non. Mais ce n’était peut-être pas ______. Pour le savoir, il eût fallu que je lui demande si c’était ______, et il eût pu s’agir d’un autre ______ que le ______ auquel je pense, le ______que j’ai connu, qui était plus jeune que moi et dont je me suis dit, me souvenant du ______ jeune que j’ai connu, du ______ qu’il n’est plus, donc, Il a pris un coup de vieux, tout de même, ______. Mais si ce n’était pas ______, ou alors un autre ______ que mon ______, alors tout cela ne veut rien dire. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas trouvé que Guillaume avait pris un coup de vieux, ce soir, quand je l’ai vu, et j’étais sûr pourtant que c’était lui, lui et non pas un autre, un autre que lui ni un autre Guillaume. C’est rassurant, me dis-je à présent, de savoir à qui l’on a affaire. C’est vrai, à quoi peut-on se fier désormais ? Ne vivons-nous pas à l’ère du faux, où tout peut être fabriqué, modifié, à l’heure où le faux est indiscernable du vrai ? Guillaume s’est-il dit, me voyant, Tiens, il a pris un coup de vieux, Jérôme ? Je ne sais pas. En tout cas, il n’en a rien laissé paraître. C’est heureux. Moi, je trouve que j’ai pris un coup de vieux. Je n’arrête pas de me dire : Je vais mourir. Ce qui est vrai, absolument, mais ce n’est pas ce que je veux dire, je ne veux rien dire dans l’absolu, je veux dire : Je vais mourir, maintenant, bientôt. Et le fait que je ne sois pas mort ne prouve rien, ne suffit pas à me détromper, je peux mourir l’instant d’après ou l’instant d’après ou l’instant d’après, ce qui, nécessairement, finira par arriver. Est-ce vieillesse que cela ? La dégénérescence, sans aucun doute, oui, l’affaissement, le déclin, assurément, et bientôt, il ne restera plus rien de moi, je me serai écroulé. Bientôt, plus personne ne pensera plus à moi. On m’aura oublié. Cela devait bien finir par arriver, me dirais-je, si je pouvais encore me le dire, alors, mais je ne serais plus, alors, alors je ne pourrais plus, alors. Et puis, de toute façon, comment se souviendrait-on de moi ? Comment ? — j’entends : par quel miracle. Comment ? — j’entends : en quels termes, de quelle façon, en bien, en mal, en quoi ? Peut-être que Guillaume se souviendra des lasagnes que je lui avais cuisinées, ce soir du seize décembre deux mille vingt-cinq, et de la tarte aux pommes, aussi ? Ça ou mes livres, le choix est vite fait.

16/12/2025

baptistetheryguilbert
, 16/12/2025 | Source : reprise/reprise

Ma mère parlait au je dans certains paragraphes du texte et je change tous ces paragraphes en passant au elle. Ça produit quelque chose. J’y passe ma soirée, le début de la nuit. Je n’arrive plus à me concentrer. Je joue aux Sims avant d’aller me coucher. Je me réveille. Dore me propose d’aller voir Bugonia dans l’après-midi. Je lui dis que je déteste les films de Lánthimos, mais que si c’est avec lui, pourquoi pas. Je finis de bosser ce que je dois envoyer à Enzo pour sa revue. Nanténé m’a fait des retours sur mes photos et ma mise en page, ça m’aide. Je lui ai écrit : Pour être très sincère, pour mes textes comme je disais j’ai une genre de confiance en moi, puis aussi beaucoup de personnes autour de moi en qui j’ai confiance pour me relire. Pour la photo, l’image ou le graphisme, j’ai genre personne, à part mon amoureux parisien (hum hum, son avis est influencé) et toi. Les gens autour de moi, en dehors de vous, n’ont aucune culture de l’image, ou aucun goût hahaha (en tout cas pas le mien). Donc vraiment, avoir tes retours m’est très précieux, car j’ai entièrement confiance en ton regard. Merci beaucoup beaucoup et gros bisous ! Je vérifie les retours de Rémi sur ma pièce de théâtre qu’il doit éditer depuis deux ans, aussi. Dore m’écrit : il pense être trop crevé pour le ciné (il a fait la fête ce week-end), mais me propose de venir à l’appart pour un thé. J’allais lui écrire mes réserves, lui dire que j’aurais bien aimé qu’on se voie que tous les deux, au moins un petit peu, puis il m’écrit à nouveau : Max ne sera pas là, il doit aller chez le psy. Je finis mon mail pour Rémi, je m’habille, je sors de chez moi, je prends le bus, j’arrive à Jourdain, je monte la rue, enfin comme d’habitude quoi, je vais au Monoprix pour lui acheter une tartelette aux framboises parce que je sais qu’il aime ça, ils n’en ont plus, je me rabats sur une part de moelleux aux noisettes et une tartelette aux abricots et aux amandes, je tape le code de l’immeuble, j’arrive chez eux. Dore m’ouvre, m’embrasse. J’enlève mes chaussures, mon écharpe, ma veste, je vais au salon. Le coloc nous sert le thé. Il remet FIP. On s’assoit. Je bois un peu de mon thé puis je me mets dans les bras de Dore pendant qu’on discute tous les trois. Le coloc nous raconte rapidement son séjour à Marseille avec son mec. Puis il doit y aller. On reste dans le salon. […] Je me redresse et un rayon de lumière du soleil couchant me barre le visage en passant par la fenêtre. Dore me prend en photo avec son téléphone. Il va chercher son appareil photo. Il prend des photos. Nos corps sont un peu imbriqués. Il a ses jambes autour de ma taille, je suis au-dessus de lui. Je le prends en photo avec mon téléphone en train de me prendre en photo avec son Nikon. Il pose l’appareil. Je passe la main sous son pull. Je l’embrasse dans le cou. Je sens son érection sur mon ventre. Je renifle sa poitrine — là où il y a son parfum. Mes mains sur ses cuisses. Je descends. J’enfonce mon visage dans son entrejambe. Je caresse son sexe avec ma bouche et mon nez, j’en comprends la forme à travers les vêtements. Je remonte. On s’embrasse. Je me pose sur lui. Je l’écrase un peu. Il prend l’appareil à bout de bras et nous prend tous les deux, sans pouvoir viser correctement. À un moment (avant, pendant, après, je ne sais plus) il dit, pour rire : metoophoto. Je me redresse. On se délie. Je prends son appareil et je prends juste une photo, de lui, son visage, un bout de fenêtre, et la petite sculpture en plâtre posée derrière lui — un autre visage. On continue à papoter. On entend la porte d’entrée s’ouvrir puis se fermer : sans doute Max qui rentre de son rendez-vous psy. Dore se redresse un peu, remet ses lunettes. Je lui dis, pour rire : t’es trop mignon, on dirait un petit garçon puni. […] Dore est dans sa chambre, il prépare les photos qu’il a imprimées en format carte postale et dont il tamponne le verso avec une date, son pseudo, et un ex-libris (un pied avec une étiquette, ou un leatherguy), pour me les offrir. Je vais voir Max qui se fait à manger. Je lui demande s’il va bien, il répond non. On parle un peu des fêtes à venir. Je retourne dans la chambre. Je dis à Dore que sans doute Guillermo aimerait bien sa carte postale en noir et blanc, celle qu’on dirait presque dessinée. Il en rajoute une, alors, qu’il tamponne aussi, pour lui. Il me tamponne le bras avec son pseudo, deux fois. Puis, sans mon autorisation, il me tamponne la nuque, toujours avec son pseudo. Je fais semblant de le fuir. Je vais dans la cuisine pour m’en plaindre à Max. Dore arrive. Il me montre du doigt et il dit : t’es à moi maintenant. On rit ensemble. Max va se mettre au lit. Je commence à me rhabiller, dans l’entrée, je mets ma veste, mon écharpe, je range les petits cadeaux de Dore dans mon sac, je lui laisse Le danseur des solitudes — il a vu un spectacle d’Israel Galván la semaine dernière —, je remets mes chaussures, Dore revient, il m’ouvre la porte, il m’embrasse, et je file jusqu’à l’ascenseur, je descends, je vais à la station vélib’, un gars dépose un vélo, je lui demande s’il est bien, il répond : pas mal, alors je le déverrouille, je règle la selle, je mets mes écouteurs et mes musiques en aléatoire, je commence à pédaler, à descendre la rue en danseuse, et dans mes oreilles, Born to Trouble de Brad Mehldau — et je pourrais chialer de bonheur et d’amour, ou juste compter sur l’air frais qui balaie mon visage quand je roule à toute allure.

16122025

Guillaume CINGAL
, 16/12/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

Hier soir avait lieu la petite réception en l’honneur d’Ahmad Ashour, chercheur palestinien accueilli par le laboratoire InTru au sein de notre université depuis août dans le cadre du programme PAUSE, en présence du président de l’université et de Stéphanie Meissonnier et Marie Desplechin pour le partenariat avec Bibliocité.

 

Aujourd’hui j’assure mes deux derniers cours du semestre avant le pot de Noël du département d’anglais. Impression de baigner en permanence dans la dissonance la plus totale.

 

Voyage au Lexique II, 3

Serge Marcel Roche
, 16/12/2025 | Source : Chemin tournant

Dans ce deuxième Voyage au Lexique, je continue d’explorer à ma manière, en me gardant de les exploiter, les mots de Ma vie au village dont le nombre d’occurrences est significatif. Le long de la plaie dans nos yeux jaunissants voyons le sang nombreux qui passe. Plaie État antérieur à la cicatrice, marque parfaite du […]

Ricochets/ Année 2/ Semaine 50

Laura-Solange
, 16/12/2025 | Source : JARDIN D'OMBRES

 


1/ Un nouveau projet commence à se dessiner. Il nécessite des pensées floues, des notes qui s’écrivent sur de petits bouts de papier, puis se rassemblent dans un carnet, un fichier s’ouvre sur l’ordinateur, des dossiers prennent place, on enregistre le tout consciencieusement. Cela commence à prendre de la place dans la tête, de manière un peu brouillonne, sans savoir où cela va pouvoir mener. Penser que c’est le meilleur moment.

2/ Derrière la fenêtre à l’heure du retour des freux, je fixe le déclin de la lumière et l’immobilité qui s’empare des arbres et buissons, peuple de ce qui cerne la maison et qui pourrait se nommer jardin. D’un côté de la maison tout s’endort, alors que de l’autre au loin la ribambelle de lumières rouges dans un sens et jaunes dans l’autre se déploie, attestant que la vie se poursuit.

3/ On se construit dans un amalgame de sentiments contradictoires ce qui fait que l’on a un rapport un peu complexe vis-à-vis de soi. On a beau avoir accumulé un bon nombre d’années, on tâtonne toujours à comprendre quelque chose dans cette complexité qui nous a façonnés. Sait on un jour qui l’on est vraiment, et à quel moment on parle véritablement de sa propre voix et quel est notre visage ?

4/ Entre les univers où serpenter, se situe un monde parallèle où se terrer. Les écueils sont repoussés dans les angles morts, et l’on peut errer seule comme en un lieu vierge. On s’y tient comme dans un espace d’apprentissage d’enfance où se devine ce qu’il faut faire pour être. On s’y complaît dans une forme d’attente, de suspens patient. Il faut parfois parler à voix haute pour se sentir vivant.

5/ Là où se posait le regard et encore au plus loin de celui-ci, quand enfant on explorait les alentours : les prairies en contrebas, les arbres de la forêt, les collines qui fermaient l’horizon et les lumières qui s’allumaient au crépuscule et qui guidaient les visions. Ce souvenir qui remonte, qui efface les frontières, et qui mêle le dehors et le dedans en un seul mouvement, comme un instant fondateur.

6/ Les histoires qui reviennent du temps de l’enfance, ce sont des histoires traversées de silences. Des chaises en paille alignées devant la maison, nous assis dessus attendant la venue de cette nuit d’été où les étoiles filantes se devaient de traverser ce ciel nocturne et nos esprits, emplis de songes, et prêts à se laisser guider par cette lumière et à formuler des vœux dont on ne sait plus rien.

7/ La vie de chacun d’entre nous vue comme un atlas à étudier, avec ses sommets et ses creux, ses grottes et ses plaines ouvertes au vent, toute une série de mondes dont on a oublié les pierres qui ont permis de le solidifier, peuplés de microcosmes qui ont contribué à construire qui l’on est, à façonner notre chair, en une cartographie pleine de rides dont on a à prendre soin.

151225

Jérôme Orsoni
, 15/12/2025 | Source : cahiers fantômes

Recopié les poèmes que j’ai écrits ces dernières semaines dans un carnet. Y compris celui de ce matin, en marchant dans Paris. C’était cet après-midi, dans un carnet grand public, ligné format A5, et avec un stylo Bic rétractable noir, un M10, pour être précis, tout d’abord, allongé par terre, sur le ventre, puis assis à ma table d’écriture. Qui n’écrit pas ou, plus précisément, n’écrit pas comme un maniaque, ne comprendra pas l’importance de ces détails (pas ces détails-là, mais ce genre de détails, que ce genre de détails aient une importance). Et pourtant, d’une manière qui me semble encore quelque peu difficile à exprimer clairement, ces détails ont une importance considérable. Ils inscrivent l’écriture dans la vie, la vie la plus ordinaire et la plus profonde. Ce matin, à l’approche du Parc Montsouris, avec un sans-gêne déconcertant étant donné le sujet qu’ils abordaient, des employés aux espaces verts discutaient en criant d’un trottoir à l’autre de l’Avenue René Coty (de l’allée centrale de l’Avenue René Coty au trottoir de la rue Saint-Yves, qui se trouve un peu en hauteur par rapport à l’avenue, pour être tout à fait exact) : « — Hé, tu sais qu’y a un type qui s’est pendu à une de nos cabanes, ce matin ? — Ah bon ? — Ouais, il s’est pendu devant la cabane. — Eh ben, l’a pas fait les choses à moitié, lui… Allez, tant pis… » L’intérêt que nous portons au sort des autres, me suis-je dit en entendant cette dernière remarque philosophique, est tout relatif. Mais en quoi différait-elle, cette dernière remarque, de ce que nous inspire la mort de milliers de personnes, dont nous prenons chaque jour, dans des circonstances plus ou moins atroces, plus ou moins violentes, et toutes les justifications que, de quelque camp que viennent les voix qui s’adonnent à cet exercice répugnant, l’on s’acharne à apporter pour faire rentrer la mort dans une sorte d’ordre des choses où, malgré tout notre progrès, toute notre science, toute notre richesse, elle n’a pas sa place ? À vrai dire, je l’ignore : en rien, probablement. J’ai continué de marcher, et trouver les grilles du parc fermées (ceci s’expliquant par cela) ne m’a pas empêché de poursuivre ma route autour, puis jusqu’à la BNF puis jusqu’à la maison en passant par le Jardin des Plantes et le Jardin du Luxembourg. Tout en marchant, comme je l’ai dit un peu plus tôt, j’ai écrit un autre poème, le neuvième, moins sombre que les précédents, ce qui s’explique : je l’ai écrit dans une éclaircie. Cette précision météorologique n’est pas sans importance : les poèmes que j’écris ces dernières semaines retrouvent une idée que j’avais eue, il y a plusieurs années de cela, sans jamais la mener réellement à bien, le carnet doit encore être quelque part, peut-être, mais je ne sais pas où, l’idée d’écrire un carnet d’un hiver, ce que je suis en train de faire, même si nous ne sommes pas encore en hiver, c’est pour cela que le carnet ne s’intitule pas carnet d’un hiver, mais il ne s’intitule pas non plus carnet d’un automne, il pourrait s’intituler carnet d’une année, si je continuais après l’automne, durant l’hiver, le printemps et l’été, ce que j’ai l’intention de faire, ou pourrait s’intituler carnet des saisons avec des parties pour chaque saison, ce qui n’est pas follement original, mais ce n’est pas la question, clairement définies ou non, ce n’est peut-être pas non plus la question, mais j’ai tout de même sauté deux lignes au début de chaque page sur laquelle j’écris un poème pour laisser la possibilité d’écrire un titre ou un autre, plus ou moins général, plus ou moins particulier, c’est important de se laisser des possibilités, de ne pas se les fermer, idée que l’écriture soit au cœur de la vie, sans séparation, comme nous devrions être, sans séparation, parmi le cosmos.

15122025

Guillaume CINGAL
, 15/12/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

Aujourd’hui nous avons enregistré, Sébastien et moi, l’émission consacrée à De Funès et au plurilinguisme, qui était en projet depuis le printemps dernier ; c’est assez fréquent pour cette émission de radio, que je me trouve à tourner autour du pot ou à mettre plusieurs mois à convaincre telle ou telle personne de faire une émission sur tel ou tel sujet. Cette fois-ci c’était beaucoup plus ludique qu’habituellement, même si, d’une part, la plupart des émissions se font dans la bonne humeur, et si, d’autre part, on a abordé plein de sujets tout à fait sérieux, et qui mériteraient de véritables recherches.

 

15/12/2025

baptistetheryguilbert
, 15/12/2025 | Source : reprise/reprise

Ça y est, les larmes tombent sur les verres de mes lunettes en lisant le livre d’Antonin, page 102, son absence est ma douleur, il parle de sa mère, c’est comme s’il parlait de tous mes disparus, de tous mes absents, je referme le livre, j’essuie mes lunettes, je reprends ma respiration, je reprends la lecture.

je pleure du sable
ça a toujours été là-bas
je suis le metteur en scène d’un livre
concierge d’une histoire
malheur au bout de l’index
ils ont fait grandir les ruines
chants de mines, du fond du fond de la terre
des langues mortes, on entend des langues mortes
c’est pas archaïque : ça fait pleurer
quelqu’un brûle sur place publique
quelqu’un d’autre voit ça
on ne peut plus entendre les comptines quand quelqu’un meurt
on ne peut plus entendre, rien du tout
on veut plus rien savoir, jamais plus rien savoir
les inconnus en question, ceux qui ont fait naître
ceux qui nous ont fait naître
dans les allées des cimetières, dans les urnes
dans les cendres, dans l’air, dans la mer
personne n’a connu en personne les inconnus
qui ont fait naître ceux qui nous ont fait naître
au bord de la méditerranée, de l’autre côté
j’entends leurs pas qui résonnent
dans le sable
sur la plage
dans les vagues
qui reviennent
: c’est le ressac de la mémoire des vivants et des morts
tout autour autour autour autour autour de la mer

Ma mère remplit un formulaire. À la question Vivez-vous actuellement dans le pays où vous êtes né·e ?, elle répond non.