Les panneaux publicitaires que la bourgeoisie éditoriale s’offre pour célébrer les prix qu’elle se remet à elle-même dissimulent mal l’économie de subsistance et de captation sur laquelle cette mascarade repose. Les dents sont blanches sur la photo, c’est vrai, mais tout cela ne dégage-t-il pas une affreuse odeur de moisi ? Si la bourgeoisie éditoriale parvient à se maintenir en place, c’est au prix d’un affaissement du terrain où les rares buissons qu’elle laisse pousser ne semblent de grands arbres que par comparaison : ce sont de fiers totems, en effet, car il se dressent sur un tas de fumier. Pour ma part, quand je songe à l’intelligence artificielle, je rêve moins aux auteurs (ces gens-là, malgré qu’ils en aient, le sont déjà, artificiels) qu’aux lecteurs : bouclant de la sorte la boucle du marché sur elle-même (le producteur et le consommateur seront produits par la même machine du même groupe industriel), ou plutôt concrétisant enfin la clôture du marché sur lui-même, on se débarrasserait une bonne fois pour toutes de ces recettes éculées et dont les ficelles sont plus grosses encore que celles des intrigues qui tissent d’ennui les sous-produits romanesques dont on affecte de se féliciter. Qui se chausserait de lunettes grossissantes s’imaginerait peut-être apercevoir là quelque image microscopique du jeu plus vaste où l’on parie sur le destin du monde, mais ces jumelles, c’est résolument vers le passé qu’il les lui faudrait tourner pour espérer y voir quelque chose. Le temps a passé, mais l’on fait semblant que rien n’a changé, c’est le “fait maison” de la culture française : tout est livré sous vide et sent le réchauffé, mais qu’importe ? — plus personne n’a de goût. On passe devant ces trophées de la médiocrité avec un sentiment de honte. C’est absurde, évidemment, comme si quelqu’un nous avait jamais demandé d’avoir des idées, mais cela aussi, probablement, est un réflexe d’antan, quand on s’imaginait que l’existence ne se résumerait pas toujours à consommer ces ersatz vulgaires et qui nous gâtent les pensers. Les fleurs ont l’odeur de la terre où on les fait pousser. Dans le ciel de cette grisaille immonde (souvenirs du temps où j’assistais aux intrigues et maladroites manigances), les oranges de Sicile sont des astres miniatures, adorables éclaircies, délices aux effluves anciens. Un jour, me dis-je parfois, je devrais enquêter pour savoir d’où me vient cette passion pour les agrumes qui date de ma plus tendre enfance, mais j’hésite : cela ne me gâterait-il pas le goût ? Et puis, ne fait-on pas déjà bien trop d’ego-histoire ? Comme si le petit moi était devenu le seul horizon où homo occidentalis se sente à son aise. Alors que je rêve de cosmogonies aux parfums de Méditerranée et d’îles jusqu’où je n’ai jamais vogué.










