201025

Jérôme Orsoni
, 20/10/2025 | Source : cahiers fantômes

Livre d’heures d’un purgatoire mécanique.
Qui sera notre Virgile ?
Paradis = zéro.
Personne à l’étage.
Après la pluie,
la Provence est un désert.
Au pied du Mont Ventoux,
Pétrarque est le nom qu’un élu illettré aura donné à une aire d’autoroute,
une déviation sans nulle indication d’itinéraire bis,
un chemin sans retour,
une voie où l’on avance à l’aveugle,
les yeux rivés sur le néant.
Villes bafouées,
passés sans souvenirs,
mémoires humiliées,
centres gérontologiques,
foyers d’accueil, avenirs moqués.
Exils en la terre crainte.
Tyrannie de la lâcheté.
Comment s’appelait-il ?
Qui ?
Ne te souviens-tu pas ?
Mais si, on aurait dit le nom d’une pizza.
Ou d’un joueur de foot, je ne sais pas.
Ah oui, Dante, c’est ça.
Déjà, l’intelligence artificielle a révélé sa vraie dimension politique :
proposer aux humains désemparés des contenus pour adultes.
Comment se fait-il, alors, que nous ayons l’air sans cesse plus puéril ?
Comme si,
à mesure que l’espérance de vie augmentait,
nous nous empêtrions dans une sorte d’enfance éternelle,
laquelle, dès lors, n’a plus rien à voir ni avec l’enfance humaine ni avec l’enfance de l’art,
mais avec une sorte de béatitude sans au-delà,
sans cesse recommencée,
chaque jour semblant renouveler l’éternité pour toujours.
Dans l’habitacle du véhicule,
à aucun moment,
je ne me sens en sécurité.
Au contraire,
et surtout quand je ne suis pas au volant,
je me crispe,
serre les mousses plastiques du siège entre mes doigts violacés,
me détournant de la route,
tâchant de ne pas voir la violence du danger,
l’imminence de la mort, son évidence.
Quand il m’arrive de croiser le regard d’autres automobilistes,
ou plutôt des passagers,
prisonniers comme moi de la carcasse,
je suis terrifié,
pris d’angoisses inconcevables.
Globules vides,
cellules où l’on nous tient enfermés,
au nom de la liberté,
telles sont nos voitures.
Fort heureusement,
toutes les ombres passent,
comme les automobiles :
en excès de vitesse.
La mort est en promotion sur l’étal du supermarché.
Et la vérité,
une ligne de code dans l’immense programme de nos vies insensées.
Tout cela ne veut rien dire,
et nous ne faisons même pas semblant.
Nous fonçons sur l’autoroute du désespoir,
l’autoroute du dérisoire ;
il n’y a pas de but au voyage,
pas de retour au pays,
pas de chez-soi,
rien que d’immenses et destructrices migrations :
partout, tout le temps, toujours plus de gens.
La vérité,
je le pourrais le cacher, c’est vrai,
je pourrais faire semblant,
mais ce n’est pas dans ce dessein que j’écris,
la vérité, c’est que tout cela me fait peur :
je veux voir la réalité telle qu’elle est,
mais la réalité me fait peur.
Qui sommes-nous pour consentir à vivre ainsi ?
Et comment se fait-il que personne ne se pose la question ?
Ne s’arrête,
ne tire le frein à main ?
Vampires dans les barils de pétrole, — le diable est une machine folle
Et folles, toutes les machines le sont.

Indie writing

JS
, 20/10/2025 | Source :

19 octobre 2025

Les traces de 2020 disparaissent.

J'écoute Oddfellow's Casino, leur dernier album, Four Supernaturals Crossing a River, sorti avant-hier. La plateforme m'indique que ce groupe de Brighton reçoit 645 auditeurs mensuels. Pour comparer, Maxime le Forestier en a 395 000, Françoiz Breut 35 000, c'est-à-dire cent fois moins que Patti Smith, Coldplay plus de 91 millions, deux fois plus que Radiohead, ce qui semble absurde, etc. Mais 645 ? On tiendrait dans un grand amphithéâtre. Sorte de rock orchestral, expérimental, un peu bizarre, un peu odd, en effet. Pourquoi écouter ça ? La vielle blague sur les fans de rock indé et leur snobisme voudrait que j'arrête immédiatement d'écouter ce groupe qui verse de manière éhontée dans le succès populaire avec cette foule mensuelle. Peuh. Ça me rappelle le nombre de consultations de ce journal. Je me sens soudain très "indé". Je pense donc aux sites web peu consultés, oubliés, voire disparus. On dit que des tragédies grecques, sur des centaines d'auteurs, et des milliers de textes, il ne nous reste que trois noms (Sophocle, Euripide et Eschyle) et exactement 32 pièces. Rendez-vous dans deux mille ans.

Ricochets/ Année 2/ Semaine 42

Laura-Solange
, 20/10/2025 | Source : JARDIN D'OMBRES

 


1/ Des sédiments sont déposés au fond de soi. Ainsi que du silence qu’il faut savoir écouter. Alors même que l’on pensait ne plus en avoir la nécessité, voilà que cela remue dans les tréfonds de soi, et qu’une décision que l’on était prêt à prendre est totalement remise en cause parce que, tout au fond, quelque chose remue et nous fait reconsidérer le choix qui allait se faire. Alors, s’écouter.

2/ Dans un dehors où semble-t-il il n’y a personne, poursuivre son errance, puisque rien d’autre n’est à trouver. Errer sans se perdre. Poser le regard sur ce qui importe et porte vers un au-delà de soi. C’est un sentiment de vie qui me suffit. Avec le vol d’un oiseau qui traverse et révèle ce qui au fond de soi est en train de se dire se balbutier, et de s’écrire.

3/ Sentiment d’être vivante dans le fait même d’être dans un état de pensée, par exemple, pendant une lecture que je suspends le temps de reprendre le fil des mots afin de bien réaliser ce qui veut se dire là, ou bien lorsque cela s’écrit, à la vue des mots qui prennent forme sur l’écran d’ordinateur pour tenter de mettre face à moi, dans le miroir, les circonvolutions étranges qui m’habitent.

4/ Comme une vague de clarté, la nécessité de lire, ne serait-ce que quelques lignes, pour commencer la journée. Ouvrir le livre, celui du matin, qui se donne par à-coups de notations, de pensées brèves, de citations hétérogènes, et s’immiscer dans ce qui sera la vie de ce jour, en espérant pouvoir la traverser avec un esprit à la hauteur de ce qui se demande pour être soi dans sa totalité.

5/ Quelque chose s’immisce au plus profond de soi sans pouvoir être nommée. On absorbe sans se poser trop de questions, comme une belle journée de lumière qui déboulerait sans crier gare en plein milieu d’une période de brouillard. Cela aère l’esprit et permet de penser plus large, et plus haut aussi sans doute. Se découvrir penseur de l’instant et écrire face à l’éclat qui soulève et apaise en un même élan.

6/ Comment ne pas ressentir l’être en devenir que sont ces petites filles qui m’importent, que je côtoie un jour par semaine, et dont je m’émerveille à chaque rencontre, en prenant acte de ce que chacune a de différent depuis la semaine précédente. En chacune d’elles, se développe une réalité dont toutes les clés ne nous sont pas données. Chaque jour leur devenir soi se consolide et trace son propre chemin

7/ La lecture n’occupe pas encore assez de place dans mes journées puisque je ne viens pas à bout de tous les livres qui patientent près de moi. Il faudrait être plus méthodique que je ne le suis. Et ne pas me plonger dans plusieurs livres en même temps comme je le fais actuellement. Sans parler de ceux que j’ai besoin de relire pour la préparation d’ateliers d’écriture. De la rigueur...

Exercices de disparition (3)

Clément Alfonsi
, 19/10/2025 | Source : Anath & Nosfé

mais sinon je resterai au lit, dans la chambre, sans allumer la lumière, pour qu’il fasse le plus noir possible, et ensuite j’essaierai de dormir, j’essaierai de ne penser à rien, car je veux que tout soit vide, oui, vide et silencieux,, oui, silencieux, oui, silencieux et sombre, car tout ce qui manque à présent c’est le silence, oui, je voudrai que tout soit entièrement silencieux, je voudrai qu’un silence tombe sur moi comme tombe la neige, et qu’il me recouvre, oui, qu’un silence tombe sur tout ce qui existe, et aussi sur moi, oui, aussi sur moi, puisse un silence neiger sur moi, puisse un silence me recouvrir, me rendre invisible, rendre tout invisible, faire tout disparaître, je pense, et ainsi toutes les pensées disparaîtront, toutes les images qui se sont emmagasinées dans ma mémoire disparaîtront à leur tour, et je serai vide, vide et rien que vide, je deviendrai un néant silencieux, une obscurité silencieuse, et peut-être est-ce la paix de Dieu à laquelle je pense en cet instant, ou peut-être que ce n’est pas elle ? peut-être que ça n’a rien à voir avec ce qu’on nomme Dieu ? je pense, pour autant qu’il soit possible de parler de Dieu, pour autant que ça ait un sens, car Dieu n’est-il pas une entité qui est uniquement mais dont on ne peut rien dire ? je pense

Jon Fosse, Septologie, VI, trad. Jean-Baptiste Coursaud.

191025

Jérôme Orsoni
, 19/10/2025 | Source : cahiers fantômes

Chairs. — La poéprêtresse dit des mots comme « bourgeois », elle dit des mots comme « réactionnaire », mais elle ne dit pas des mots comme « progressiste », ce ne doit plus être suffisamment à la mode révolutionnaire, plus personne ne croit au progrès à part les milliardaires, quand même ce serait le progrès pourtant qui aurait inventé la guillotine, et je ne me demande pas comment on peut penser avec des concepts pareils, je sais bien qu’on ne peut pas penser avec des concepts pareils, qu’on ne peut rien penser en dehors de soi, en dehors du passé d’où ces mots proviennent, du passé où ils nous enferment, qu’on ne peut penser que des pensées qui ont déjà été pensées, des pensées dont on pense qu’elles sont nos propres pensées, mais à tort, ces pensées ne sont pas des pensées propres, ces pensées ne sont pas des pensées personnelles, ces pensées sont des pensées toutes prêtes, des pensées toutes faites, des réflexes, en vérité, du prépensé, du prêt-à-penser, qui nous dispense de penser. Je me suis toujours demandé ce que Jean-Pierre Cometti pouvait bien trouver à la poéprêtresse, mais tant d’aspects m’échappent sans doute totalement ; je ne sais pas tout de sa vie, je ne sais presque rien de sa vie et, en vérité, je ne cherche pas à savoir grand-chose de sa vie. Rodhlann m’a suggéré une sorte d’enquête philosophique à son sujet. Et c’est vrai que l’enquête philosophique n’est pas une enquête biographique, mais peut-être que je voudrais qu’il soit une branche de l’olivier et non pas l’arbre dans sa totalité. Je ne suis pas certain de ce que cette dernière phrase veut dire. (En tout cas, il y a l’idée que le réalisme ne doit pas l’emporter. In fine, il faut que ce soit le triomphe de la fiction, c’est-à-dire du déplacement. Il doit être possible de changer de sujet.) Tant pis, je la laisse telle qu’elle est. En revanche, je suis certain du raidissement que les mots de la poéprêtresse disent, de ce à quoi ils nous contraignent, et cette logique du camp qu’il faut choisir me semble mortifère, non parce que le camp opposé serait meilleur, parce qu’il vaudrait mieux que le camp dans lequel on s’oppose à lui, mais parce que lui aussi, il a choisi son camp. En fait, plus la pensée occidentale prétend rompre ou avoir rompu avec les frontières et plus elle invente, impose de frontières, s’invente et s’impose des frontières, qui ne correspondent pas à la géographie administrative du globe, mais à une géographie mentale bien plus dure en réalité parce que son abstraction rend les frontières infranchissables : on ne traverse pas les frontières mentales, on s’y cantonne, on s’y enferme, et la vie même doit être politique parce qu’il faut que tout obéisse aux principes de cette géographique mentale, il faut que tout se tienne dans les frontières que dessine la géographie mentale, tout ce qui déborde ces frontières doit être condamné à mort. Dans mon utopie transportable, il y a aussi l’idée de la traversée — la traversée de la mer, la traversée du paysage — qui n’est pas réductible au franchissement, parce que la traversée constitue ce qu’elle traverse en le traversant, même sans laisser de traces matérielles — et il est souhaitable de laisser le moins de traces possibles de notre passage —, la traversée est transformation, métamorphose. Demain, nous prendrons la route pour Marseille. Ce qui m’emplit de joie et me déprime. Je n’ai pas vu mon père depuis cet été (c’est mon frère qui s’est occupé de tout) et, si je sais à peu près dans quel état je vais le trouver, le savoir et le voir ne sont pas identiques. Daphné s’inquiétait de savoir ce qui allait advenir de l’appartement de son grand-père, tant il est vrai que nos sentiments s’attachent à des lieux spécifiques, précis, situés dans l’espace, concrets, habitables. La mer, et tout ce qu’elle enveloppe, et tout ce qui l’enveloppe, ou plutôt, devrais-je dire, cette mer, cette mer me manque tellement : c’est un manque physique, pas simplement intellectuel, tout comme mes pensées, quand elles se tournent vers la Méditerranée, ne sont pas purement intellectuelles, elles sont incarnées. Mieux : elles sont charnelles.

merci, je vais bien

caroline diaz
, 19/10/2025 | Source : Les heures creuses

Marche dominicale, passage au Salon de la revue.
 Pendant que Philippe discute avec son éditeur, je me perds dans la conversation voisine. Je remarque la couverture jaune d’une revue posée sur la table, L’Ochju. Le titre m’arrête. L’œil, en corse. J’entends : insularité, langue, accent. Je me joins à la conversation, presque impolie. J’échange avec la jeune directrice de la revue, repensant à la description que mon frère avait faite de notre grand-mère Pauline, se souvenant de la langue corse qu’elle parlait souvent, et de son accent, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette absence m’a frappée, un morceau d’identité m’avait échappé sans que je m’en aperçoive.

Nous traversons le jardin en hommage aux victimes du 13 novembre, dont Juliette nous avait parlé lors de son passage à Paris. Dix ans. Ne pas y croire. Je lis les noms des victimes gravés sur les stèles symbolisant chaque lieu touché lors des attentats. Entre les stèles, un jardin reprend le plan des rues. Une note explicative m’apprend que, la nuit, des lueurs ponctuent le jardin, disposées selon la voûte céleste du 13 novembre 2015. Une nuit de novembre, on ne peut qu’imaginer la place des étoiles.

Nous rentrons par la place de la République. Des drapeaux bleu-blanc-rouge flottent, agités par un petit groupe de prétendus patriotes qui réveillent la méfiance.

Voyant la lune haute dans le ciel, un enfant demande à sa mère si elle a des ailes. Elle lui répond que non. J’aurais aimé qu’elle lui dise que c’était beau d’imaginer cela. L’enfant insiste, Mais pourquoi la lune n’a pas d’ailes ?

Attachant la broche de Pauline sur ma veste, je m’étonne de la manière dont mon attention aux objets change. Cette broche, que ma mère m’avait donnée simplement parce que je la trouvais jolie, aujourd’hui se charge d’histoires, de présences. Je la touche parfois, en marchant dans le quartier, avant de monter sur un vélo, comme un talisman. Cette attention mouvante, je crois que c’est une forme de mémoire.

L’ami finit son message en m’écrivant J’espère que tu vas bien.
 Je n’ai pas su lui répondre. Écrire merci, je vais bien serait forcément assujetti à une litanie de si j’oublie.

Si j’oublie…

Si j’oublie…

Si j’oublie…

Alors oui, je vais bien.

La vidéo d’Anh Mat. Le taxi quotidien avec Isabelle.
 Elle demande à son père s’il préfèrerait visiter les morts ou les ressusciter.
 Je me dis que c’est ce que je fais, la plupart du temps, quand j’écris — mais je ne désespère pas d’en avoir fini un jour avec mes morts.
 Écoutant les voix familières d’Anh Mat et d’Isabelle, m’invitant à sortir pour savourer la journée ensoleillée qui s’annonce, je réalise qu’ils me manquent. Je leur envoie un message vocal.
 Anh Mat me répond quelques instants plus tard.
 Derrière sa voix, j’entends Isabelle qui chante.
 Et je me dis que les voix parfois nous relient, malgré la distance.

Voilages et ruban, escalier

Anne Savelli
, 19/10/2025 | Source :

Parfois, je me déplace pour presque rien, un bout de ruban rouge à acheter, je me fraye un chemin parmi les touristes qui montent vers le Sacré-Coeur et, une fois chez Reine, moi qui ne sais rien faire de mes dix doigts en dehors de taper sur des touches, je me sens envahie par une immense félicité.

Reine est un magasin de tissus du Marché Saint-Pierre sur lequel j'ai écrit dans Décor Daguerre.
Reine n'a pas changé depuis ma petite enfance, voilà ce qui me frappe chaque fois que j'en franchis le seuil — ce que j'éprouve est peut-être faux, mais c'est invariable. Au rez-de-chaussée, un vendeur attend, muni de son mètre en bois. Dans l'ascenseur capitonné, un banc accueille, pour quelques secondes, les clientes.

J'ai une passion immodérée pour l'escalier bleu pâle à liséré rouge qu'on peut également emprunter, dont les vitres opaques donnent sur la rue. Je ne sais pas pourquoi je l'aime tant, en dehors du fait de l'avoir certainement monté ou descendu avec ma mère un samedi, au début des années 70.

(À ce propos, Sébastien Rongier vient de faire paraître un livre sur "les arts et les marches", L'Esprit de l'escalier que j'aimerais lire.)
(L'Esprit d'escalier, de son côté, est un jeu de cartes littéraires de Pierre Ménard.)

J'achète mon mètre cinquante de ruban rouge, un beau ruban, ma foi, brillant et souple. J'attends mon tour en observant le carrelage du premier étage, qui lui non plus, n'a pas changé — un carrelage fait de petits morceaux brisés, colorés, le plus souvent triangulaires, dont je cherche, sans le trouver, le nom — puis, après un tour au dernier étage, rayon voilages, je rentre chez moi, transportée par ce plaisir d'être allée chez Reine en début d'après-midi un lundi, d'avoir joui de chaque instant sans subir la foule. C'est vraiment physique, ce plaisir, ça vous prend entier, des pieds à la tête, comme si chaque cellule vibrait de joie.
(Ce qu'elle fait sûrement.)
Tout cela pour apporter le soir-même ce cadeau à l'anniversaire d'un ami, qui fête ses quatre-vingts ans :

(Est-ce que je vais ressortir cette photo quand il sera temps d'annoncer la parution de Bruits en janvier, qui fait dans les 400 pages ? Oh, certainement.)

valériane 300mg

Thomas Terraqué
, 19/10/2025 | Source : Thomas Terraqué

Il s'arrête devant moi à la fin du cours, me regarde dans les yeux et me dit : « M'sieur, vous êtes marrant comme prof. »

Valériane 300mg, passiflore 270mg, mélatonine 1mg, c'est la dose pour le soir. Et c’est magnifique, car ce cocktail de plantes et de poudre de perlimpinpin me fait dormir comme un bébé.


Une heure de sieste à 13h. Les siestes, la valériane me sauvent la vie, littéralement.

Jour de commémoration de l'indépendance – et j'imagine dès maintenant, le long des routes à la tombée de la nuit, les centaines et les milliers de processions à antorchas dans tout le pays qui démarrent ; les jeunes tels des ninjas caraïbes, avec leurs bandeaux "vamos Guate" sur le front, portant fièrement la torche derrière les pickups au milieu du trafic infernal. Ces relais d'antorchas – qui célèbrent les cavaliers de 1821 apportant la nouvelle de l'indépendance aux autres pays de la Mésoamérique – forment en moi une image d'orgueil, de tendresse et de violence, à la mesure de mon expérience du Guatemala.


S. est venu à la maison pour les échecs. Défense hollandaise. Hier, au retour de la Antigua, deux heures et demie dans les bouchons au milieu des antorchas. Joie des jeunes d'ici dans le vacarme, au milieu des gaz d'échappement et des voitures à l'arrêt, avec leurs sacs plastiques remplis d'eau qu'ils se jettent à la tronche, et les adultes stoïques, sourire aux lèvres devant la longue file des véhicules qui s'étire jusqu'à l'horizon.


« J'en étais là, quand un dimanche soir il m'arriva enfin quelque chose qui méritait d'être raconté. J'avais passé presque toute la journée à ruminer mes frustrations d'écrivain (...) quand, dans le tramway qui me ramenait à la pension, un faune en chair et en os monta à l'arrêt Chapinero. J'ai bien dit un faune. Je remarquais qu'aucun des passagers ne semblait surpris par sa présence et je crus que c'était un des vendeurs ambulants du parc pour enfants qui s'était déguisé. Mais je fus vite convaincu qu'il n'en était rien, car ses cornes et sa barbe étaient aussi dures que celles d'un bouc, au point que je crus sentir la puanteur de son poil. Il descendit comme un père tranquille avant la rue Veintiseis, qui était la rue du cimetière, et disparut entre les arbres du parc.

Domingo Manuel Vega, réveillé par les soubresauts que je faisais dans mon lit, me demanda ce que j'avais. "j'ai vu un faune monter dans le tramway", lui répondis-je à moitié endormi. Lui, tout à fait réveillé, me répliqua que si c'était un cauchemar j'avais dû trop manger, mais que si c'était le sujet de ma prochaine nouvelle il le trouvait fantastique. Le lendemain matin, je ne savais plus si j'avais vu un faune ou non dans le tramway ou si j'avais eu une hallucination dominicale. (...) Au bout du compte, l'essentiel pour moi n'était pas de savoir si le faune était réel, mais si j'avais vécu l'épisode comme s'il l'était. Songe ou réalité, il ne fallait pas le considérer comme un sortilège de l'imagination, mais comme une expérience merveilleuse de la vie.»

Vivir para contarla, Gabriel García Márquez.


L. me fait comprendre dans un mail qu'il n'y a plus que les stars qui vendent encore quelques livres en France. Si je veux avoir la moindre chance pour ma prochaine fournée, il faudrait que je m'active un peu sur les réseaux. Évidemment, L. a raison. Mais c'est quand même terrifiant cette époque où écrire ne suffit plus pour écrire. Pour la énième fois, je dois réfléchir à comment dire des trucs intelligents dans des espaces conçus pour qu'on y dise des conneries. Dans peu de temps, je crois que je ferai mes propres livres, pour moi-même et une poignée de lecteurs, façon art brut, avec imprimerie maison et tirage à dix exemplaires.

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181025

Jérôme Orsoni
, 18/10/2025 | Source : cahiers fantômes

Au creux. — N’ayant pas eu de pensées dignes de ce nom — et par « pensée digne de ce nom », j’entends un pensée que je puisse écrire, qui mérite de l’être —, j’ai bien peur que ce journal soit un peu vide. Ce qui serait une bonne raison de ne pas l’écrire, de ne pas écrire, aujourd’hui. Mais, si je n’écrivais pas, si je ne l’écrivais pas, ce serait ma vie qui serait vide, aujourd’hui, et cela, je ne le souhaite pas, je ne souhaite pas ajouter au vide des pensées le vide de la vie, non, ce ne serait pas supportable, je crois. Ne fais-je donc que cela, penser, dans la vie ? Pas tout à fait, non, mais il est vrai que, bien souvent, c’est tout ce qui me semble digne d’intérêt, le reste paraissant bien fade quand on le compare à une idée qui éclaircit. Il y a les faits et gestes, évidemment, même si, compte tenu de ma vie sociale restreinte, ils sont moins luxuriants qu’ils ne pourraient l’être chez d’autres, qui font des choses, vont à des événements, voient des gens, tout ce qui remplit une existence, même si, un jour ou l’autre, on se demande si elle n’est pas parfaitement vaine, toute vide au-dedans malgré tout ce qu’il en paraît au-dehors. Je suppose, en tout cas. Dans mon utopie transportable — et par « utopie transportable », j’entends ce genre d’idée que l’on se fait de la vie idéale qui ne tient qu’à soi, qui n’implique personne d’autre, qui est absolument autonome, totalement irréaliste, peut-être (toutes les utopies ne le sont-elles pas ?), mais entièrement singulière —, il y a plus de paysages que de gens, plus d’espace que de présences, plus d’horizons que de salons. Et ce n’est pas une question de goût, c’est une question de perspective sur la vie : la vie manque de vide. Alors, la pensée semble se retourner sur elle-même, comme on le ferait d’un gant ou d’un vêtement, mais qui serait parfaitement réversible, qui n’aurait pas de bon endroit, pour ainsi dire (souvent, les vêtements réversibles semblent plus faits pour être portés d’un côté que de l’autre, ou alors il y a un côté qui nous plaît plus que l’autre, et c’est lui l’endroit, le bon endroit, l’autre devenant l’envers, du fait de cette préférence, mais ce n’est pas une philosophie du vêtement, passons) : n’as-tu pas dit pour commencer que la vie était vide, te semblait, pourrait te sembler vide, si, etc., je ne me souviens plus vraiment ? Et alors ? Eh bien, ne trouves-tu pas cela contradictoire ? Oui, peut-être, mais je me répète : et alors ? Et puis, en fait, non, contradictoire, je ne crois pas que ce le soit. Parmi les habitants qui peuplent mon esprit se trouvent des images, et il faut que je m’y fie. Je voudrais pouvoir m’y fier pleinement, les suivre à la lettre, aller là où elles me guident, là où elles m’orientent, ce serait la plus totale des libertés, ce serait ce qui ressemblerait avec le plus de précision, de justesse à la vie rêvée (quelque chose comme l’utopie transportable de tout à l’heure, peut-être). Mais, ne le faisant pas, ne m’en remettant pas entièrement à elles, je n’ai pas l’impression de vivre faute de mieux, non je dirais simplement que je ne suis pas seul au monde. Et cela, aussi, me réjouit. Sinon, ce ne serait pas une vie.

Nouveau rondel (18102025)

Guillaume CINGAL
, 18/10/2025 | Source : ǝuᴉǝɹǝs ǝuᴉɐɹnoʇ

La sinusite m'emmigraine,

Et en plus je suis tout glotteux.

La rhinopharyngite traîne :

Faut-il aller au rebouteux ?

 

Quelque soin que de moi je prenne,

Mon corps s'achève loqueteux :

La sinusite m'emmigraine,

Et en plus je suis tout glotteux.

 

Moi qui sais des lais pour les reines

Et connais le traquet motteux,

J'ai commis ce rondel honteux.

Devant la justice on me traîne :

La sinusite m'emmigraine !